Largentiere

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Largentiere

Extrait du livre "Histoire de Largentière" de Albin Mazon, impr. de C. Laurent (Privas), 1904 trouvé sur Gallica

L'auteur, ayant fait des traductions de documents, est souvent prudent sur les noms des personnages...

...La plus vieille mention de l'existence de Largentière se trouve dans le Bref d'obédience des chanoines de Viviers, un document du IXe ou Xe siècle où il est dit qu’ils possédaient à Largentière et Saint Pierre de Colombier un domaine avec habitation.

Les mines de plomb argentifère, qui ont donné leur nom à Largentière, dont un quartier au moins s’appelait Segualerae, étaient-elles connues à l’époque ou le chanoine Audebert de Viviers tenait la curte indominicata du territoire d’Argenteria, en même temps que l’église de Saint Pierre de Colombier et les deux églises de Genestelle? Les données certaines et les traditions locales sur les premiers mineurs restent confuses. Rien ne permet de faire remonter l’exploitation des mines aux Romains ou aux Sarrasins qui ont occupé le Vivarais, surtout dans les régions du bord du Rhône.

Quoi qu’il en soit, deux indices de l’importance de Largentière, à une époque plus ou moins contemporaine du chanoine Audebert, se trouvent, d’une part, dans les tours de protections élevées sur les hauteurs environnantes comme Tauriers, Montréal, Brison, Vinezac, etc…, qui sont d’époque carolingienne, et d’autre part dans une tradition locale, mentionnée par une délibération municipale de Largentière en l’an 1780, d’après laquelle la ville aurait subi un siège du temps de Charlemagne.

Largentière apparait dans l’histoire avec son importance de pays de mines d’argent seulement au XIIe siècle avec une charte de l’empereur Conrad, qui, en 1146, accorde à Guillaume, évêque de Viviers, son parent, les droits régaliens, entre autres ceux de battre monnaie et de droits de péage.

Ces privilèges furent confirmés à l’église de Viviers, qui se reconnaissait alors vassale unique de l’empereur d’Allemagne, par Frédéric Barberousse en 1177, et plus tard, en 1214 et 1235, par Frédéric II.

Or, pour battre monnaie, il fallait au Moyen âge, où les transports étaient difficiles, avoir en quelque sorte le minerai sous la main et Largentière permettaient aux évêques de Viviers d’avoir l’argent nécessaire. Une si riche possession ne devait pas manquer d’attirer les convoitises et les droits concédés fréquemment, par les chartes données aux évêques, étaient surtout des avertissements donnés aux ambitieux et envieux voisins.

Les empereurs prirent sous leur protection spéciale l’église de Viviers, son évêque et son clergé, ainsi que tous les habitants.

Mais si l’église de Viviers avait des droits sur les mines d’argent, elle n’en était pas la seule propriétaire, puisqu’une partie lui en fut donnée par Hugues d’Ussel, qui vivait en 1169, et une autre partie appartenait aux maisons d’Anduze, de Poitiers et de Montlaur.

Le comte de Toulouse Raymond V parait avoir laissé les uns et les autres tranquilles possesseurs des mines jusqu’à la mort de Frédéric « Barberousse »(1190), évitant sans doute d’entrer en querelle avec son puissant suzerain, pour une partie de ses terres. Mais à la mort de celui-ci, des documents attestent que son attitude changea avec son désir de mettre la main sur une proie depuis longtemps convoitée.

Le premier est une charte, revêtue du sceau de Robert, archevêque de Vienne, qui constate un accord intervenu entre le comte de Toulouse avec les autres seigneurs de Largentière, dont l’évêque de Viviers où le comte de Toulouse semble maintenir le statu quo entre les différents seigneurs.

Cet accord, sans date n’a pu intervenir que dans la période de 1186, date de l’avènement de Robert à l’Archevêché de Vienne à 1195, date de sa mort. Il est probablement de l’année 1193, où fut signé un autre accord entre l’évêque de Viviers et le comte de Toulouse, au sujet de la possession de Grospierres, Aiguèze et St Marcel.

Les termes de l’arrangement cité plus haut donnent une idée suffisante de la situation car on devine aisément tout ce que le comte s’était permis vis-à-vis de l’évêque et des autres seigneurs des mines par ce dont il promet de s’abstenir…

Le partage de la dîme entre l’évêque et le chapitre fut l’objet d’autres contestations qui furent ainsi réglées en 1197 par la médiation de Jarenton, évêque de Die, en donnant deux tiers de la dîme de toutes les mines d’argent prélevées sur le diocèse de Viviers pour l’évêque et un tiers pour les chanoines.

Les deux parties étaient fortement menacées dans leur propriété commune par Raymond VI, qui avait succédé à Raymond V en 1194, et qui refusait de reconnaitre les engagements pris par son père l’année précédente. Le différent parait avoir duré jusqu’en 1198.

Les conventions précédemment conclues par l’évêque de Viviers Nicolas et le chapitre avec Aymar de Poitiers, comte de Valentinois et Bermond d’Anduze, au sujet des partages et des bénéfices des mines de Largentière, sont annulées, du consentement de tous les intéressés.

Le comte de Toulouse revendiquant la totalité du fief de Segualieres avec toutes les mines d’argent de Segualieres, de Chassiers et de Tauriers et après négociation avec les différents intéressés, le différend se termina par la transaction suivante:

L’évêque, considéré comme propriétaire du château et des mines, avec l’approbation de son chapitre, d’Aymar et de Bermond, donne en fief au comte de Toulouse la moitié du château de Segualieres et la moitié de toutes les mines découvertes ou à découvrir dans la région, de manière à ce que le comte percoive la moitié du produit du fief provenant de hommes, des certificats, des justices, des fours, des moulins, des fonderies, des bans, des impôts, des tailles, des servitudes, des lods des marchés et de toute contribution, juste ou injuste. L’évêque donne en fief, sur la moitié restante, à savoir, un tiers à Aymar, un tiers à Bermond, le troisième tiers de cette moitié, soit un sixième, restant seul pour la part de l’évêque et du chapitre. Il est entendu que sur les dîmes, que l’évêque et son église affirment leur appartenir exclusivement, ils n’exigeront pas davantage en argent et en minerai, si ce n’est avec le consentement du chapitre de Viviers, du comte Raymond, de Bermond et d’Aymar. Sont exemptées de cette clause les possessions données par Hugues d’Ussel à l’église de Viviers, desquelles l’évêque ne fait aucune concession au comte de Toulouse.

Cela ayant été entériné, le seigneur comte a prêté serment de fidélité é l’évêque de Viviers, avec promesse de défendre son église, les chanoines et les clercs, leurs biens et leurs droits, de n’acquérir ni château, ni fief ni partie de fief, appartenant à ladite église sans le consentement de l’évêque et de ses chanoines, et de remettre, mais seulement par reconnaissance, le château de Largentière, à chaque changement d’évêque ou de comte. Tous ceux qui succèderont à ce fief devront en faire de même.

Il est convenu aussi que, si le comte de Toulouse voulait faire bâtir une tour en ce lieu, l’évêque, Bermond et Aymar pourraient, de concert ou non, faire faire bâtir leur tour, de même hauteur et de même épaisseur, et réciproquement…

Il est aussi convenu qu’on s’occupera de ce que Hugues d’Ussel aurait laissé à l’église de Viviers, afin de déterminer, selon les prescriptions de droit, ce qui revient à cette église, à Bermond, à l’évêque, à Hastrefract et à P. Guillaume, son frère.

Il est convenu également que tout ce que possédait Bermond dans la mines d’argent, avant que le château ou castrum fut construit, c’est-à-dire celles qu’il avait acquises de Guillaume de Balazuc et de Hastrefract, et celles qu’il possédait au lieu-dit Fumpa (région du pont de Bourret et du Reclus), lui seront laissées en entier domaine, sauf le droit de justice et autres droits appartenant au suzerain.

Il est convenu que si l’évêque parvient à établir que la mine d’argent donnée par Etienne de Tauriers au comte de Toulouse est un fief de son église, le comte n’aura droit qu à un quart de ce qu’on extraira. Dans le cas contraire, le comte aura cette mine en alleu. Mais droits ou pas sur cette mine, il ne devra pas réclamer de dommages d’aucune sorte à Etienne de Tauriers pour cette donation au comte etc…

Fait à Aubenas, sur la place du Trau, l’an de l’incarnation du Seigneur 1198, au mois de Juillet etc…

A noter que l’acte de 1198 mentionne comme déjà construit le castrum de Largentière. En admettant qu’il ne s’agisse pas d’un système de fortifications protégeant l’ensemble des habiattions de Largentière, ce mot ne pourrait indiquer que la tour carrée ou le donjon, aujourd’hui noyée dans le reste de l’édifice, et qui en fut le noyau, tour qui fut sans doute construite par les évêques de Viviers.

Les coseigneurs usèrent plus tard de la faculté qui leur avait été donnée de bâtir leur propre tour. On attribue au comte de Toulouse la construction de la tour ronde, qui s’élevait en face du donjon épiscopal, et dont on voit encore la trace sur la grande terrasse du château. Cette tour, qui avait conservé le nom d’Argenteria, parce que dit-on, l’atelier monétaire y était établi, ne fut détruite que vers 1820.

Les deux seigneurs, de Poitiers et d’Anduze, auraient fait bâtir de leur côté, deux autres tours rondes, aujourd’hui reliées par le balcon qui s’etend devant l’ancienne chapelle.

Plus tard, dans un acte de 1208, une partie de mines de Largentière est passée dans la maison de Montlaur.

La fin de l'épiscopat de Nicolas est entourée de nuages. Il parait avoir été l'objet de graves accusations, que les deux légats du pape, Raoul et Pierre de Castelnau, envoyés dans le midi de la France pour réprimer l'hérésie des Albigeois, eurent à examiner. Les légats convoquèrent une assemblée générale des chanoines et des clercs de Viviers, en leur faisant promettre par serment de dire la vérité. Tous déposèrent contre Nicolas, et on allait le destituer, lorsque l'archevêque de Vienne pria instamment les légats de se contenter de la démission du prélat. Le pape, à qui on fit part de cet arrangement, écrivit au chapitre, le 20 janvier 1206, une lettre dans laquelle il approuve la conduite des légats et permet aux chanoines d'élire un nouvel évêque, dans le délai de huit jours, en présence des légats.

C'est alors que Burnon, chanoine de Valence et archidiacre de Vienne, fut élu évêque de Viviers.

Dès son avènement, Burnon reçut l'hommage de nombreux seigneurs du Vivarais, entre autres celui de Raymond de Vogué et de ses enfants. En 1207, Pons de Montlaur lui fit hommage pour le château de Mayres.

Tout cela n'empêchait pas le comte de Toulouse de poursuivre ouvertement ses desseins sur Largentière. Contrairement aux conventions de 1198, il avait bâti le château de Fanjau sur le domaine de l'évêque et du chapitre et avait acquis, sans autorisation, les châteaux d'Etienne de Tauriers, de Pons de Rochefort, d'Alsaz (Aussan, sur le vieux chemin de Largentière à Tauriers), de Pierre de Vernon et plusieurs autres fiefs mouvant de l'Eglise de Viviers. L'évêque se plaignait de plus que des troupes à la solde du comte, les fameux Aragonais, eussent causé des dommages considérables à Largentiére.

Cependant la question de l'hérésie des Albigeois était venue singulièrement compliquer la situation au détriment du comte de Toulouse, surtout après l'assassinat du légat, Pierre de Castelnau (15 janvier 1208), qu'on attribuait aux instigations du comte. Le pape renouvela alors les excommunications déjà lancées contre ce prince par ses légats, déliant ses sujets de leur serment de fidélité et autorisant tout catholique à marcher contre lui, à occuper et garder ses domaines, «en vue de retirer de l'erreur les pays qui en avaient été infectés par sa méchanceté, jusqu'à ce qu'il promit de donner satisfaction et de prouver son repentir».

L'évêque de Viviers devait naturellement se préoccuper plus que personne de cette situation, par suite de la vieille rivalité qui divisait le comte et son Eglise. En homme prudent, il jugea qu'il convenait avant tout de se concilier la population de Largentière, troublée par les menées de son ambitieux voisin, et menacée aussi de subir l'hérésie albigeoise. De là, une des deux plus anciennes chartes de libertés et franchises qui aient été données en Vivarais ; l'autre est celle de Tournon (1211).

Les écrivains qui ont représenté l'Eglise comme essentiellement hostile à l'établissement des communes, paraissent avoir beaucoup trop généralisé quelques manifestations particulières, provoquées d'ailleurs le plus souvent par de véritables attentats contre les prérogatives ou les biens du clergé. Dans tous les cas, ce n'est pas en Vivarais qu'il faut chercher la preuve de ces appréciations plus ou moins injustifiées. Van der Haeghem nous paraît se rapprocher beaucoup plus de la vérité, quand, à propos de l'acte de 1208, il rappelle le noble usage que les membres de l'épiscopat firent habituellement au Moyen Age de l'autorité placée entre leurs mains, que leur gouvernement était en général juste et paternel, et que ce n'est pas sans motif que les Allemands disent qu'il est bon de vivre sous la crosse. Plus d'une ville doit ses premières franchises à un évêque, qui les donnait et ne les vendait point. L'évêque de Viviers en agit ainsi à l'égard des habitants de Largentière. La charte qu'il leur octroya est peut-être un des monuments historiques les plus remarquables, et certainement un des moins connus…».

C'est aussi, le premier ou le second en date des documents de ce genre en Vivarais. Les autres chartes de libertés sont celles de Tournon (1211 et 1292), Joyeuse (1237), Aubenas (1248), Privas (1281), Aps (1290), Naves, Villeneuve-de-Berg et Boucieu, trois bourgs créés ou émancipes par des partages royaux (1273 à 1294), Serrières (1299), Aubignas (1303), la Voulte (1305), Annonay (1364), etc.

Les chartes de libertés des XIIe, XIIIe et XIVe siècles ont été comparées non sans raison à de petites constitutions locales, puisqu'elles donnaient une base légale, précise et politique, à la vie communale trop livrée jusque-là à l'arbitraire des seigneurs.

La charte de libertés de Largentière se compose de deux parties distinctes, la première seulement (celle qui constate le serment de fidélité prêté à Burnon) se référant à 1208, et la seconde, où sont énoncées les concessions de l'évêque, portant la date de 1213. Quoi qu'il en soit, les deux dates comme les deux actes sont inséparables, et il y a tout lieu de croire que les concessions épiscopales remontent également à 1208, bien que n'ayant reçu leur forme officielle que sept ans plus tard. 

Voici la traduction de cette charte donnée par l’auteur du livre et qui montre bien les interactions entre les hommes vivant dans toute la région:

« Bernon, par la grâce de Dieu, évêque de Viviers-, à tous les fidèles en J. C., salut. 

Nous voulons qu'il vienne à la connaissance de tous qu'une divergence s'étant élevée entre nous et les hommes de Largentière, elle a été terminée par composition amiable, comme il est écrit ci-dessous. Qu'il soit connu de tous ceux, aux oreilles de qui ces paroles parviendront, qu'en l'année de l'Incarnation 1208, le 4 des Ides de Juillet, une controverse pendante entre messire B. évêque de Viviers et les hommes de Largentière, signés dans la main dudit évêque, en présence de messire Raymond, évêque d'Uzès, et Louis de Montlaur, constitués par ledit évêque de Viviers, experts dans cette affaire, a été apaisée de la manière suivante :

Les hommes de Largentière, ayant constitué pour procureurs Hugues de Chaise-Dieu, Lormegaud, Raymond Salgues, Louis Fabre, Guillaume d'Anduze, Louis Boucher, Guillaume de Champgris, le Valnaves, Guillaume Garnier, Benoit d'Alberge, Landri Guirard, Bloch, Etienne Mounier, Baudoin Boucher, Benoit Laurent, Guillaume Lévêque, Hugues Fabre Legur, Hugues Molinier, Etienne Pascal, promirent par serment personnellement prêté, de faire que tous les hommes de Largentiére qui y sont maintenant, ou qui y habiteront à l'avenir, à partir de 14 ans et au-dessus, jurent fidélité au seigneur évêque de Viviers et à ses successeurs et à l'Eglise de Viviers à perpétuité qu'ils jurent de l'aider contre tous autres hommes pour tout son droit, et de défendre ses droits contre tous à Largentiére, exception faite de la composition qui fut passée entre feu Nicolas, évêque de Viviers, et le comte Raymond de Toulouse, et Aymar de Poitiers et Bermond d'Anduze et Louis de Montlaur, au sujet de laquelle ils n'ont aucune obligation ni de l'aider ni d'être contre lui parce que, dans les matières dérivant de cette composition, ils ne sont tenus ni de l'aider ni d'être contre lui, comme il est dit ;

Item, ils promirent de faire que les hommes de Largentière jurent de défendre l'évêque et ses droits dans tout l'évêché de Viviers ;

 Item, que chaque année les anciens consuls, d'accord avec l'assemblée des conseillers, et du consentement de l'évêque, éliront les consuls dont l'évêque, s'il les trouve idoines, confirmera l'institution, lesquels, renouvelant personnellement le serment, seront forcés de jurer sous la forme prescrite, au moins ceux qui n'auront pas juré en corps. Fait à Jaujac où ont juré dans la l'orme prescrite une grande foule venue pour cela de Largentière. Témoins présents et convoqués pour cela Didier, archidiacre de Vienne ; Etienne, archidiacre d'Uzès ; Gaucelin de Cornillon, Gaufrin de Vogué, Garin de Joanas ; Gelon, vicaire de Viviers ; Guillaume de Montaigu, notaire de Largentière ; Albert de Jaujac et Guillaume, son frère; Ravmond de Vogué et Audebert, son fils ; Louis de Mirabel, Dalmas de la Gorce, Raymond de Charlas, Etienne de Chassiers, et moi Guillaume Sifred, notaire du seigneur évêque d'Uzès, j'ai apposé son sceau au présent instrument.

La composition lue, arrêtée, récitée, reçue de part et d'autre, approuvée et confirmée d'un commun accord, nous vînmes à Largentière, et là, l’université de la plèbe et du peuple convoquée et réunie ensemble, le texte de ladite composition fut lu, approuvé et confirmé par tous d'un pareil accord et libre volonté; les serments de fidélité furent prêtés par tous, et les consuls par nous institués, dans les formes indiquées plus haut.

Or, voyant, le dévouement et la fidélité de tous et chacun des hommes de Largentière qu'ils nous montrent et promettant de montrer à tous nos successeurs à perpétuité, nous leur accordons, en notre nom et au nom de nos successeurs, certaines immunités et libertés, pour cette cause, et sous la forme ci-après, à la condition que tous et chacun des hommes qui, en quelque temps que ce soit, seront à Largentière, observent tout ce qui est contenu dans ladite composition et s'y conforment strictement, à perpétuité, envers nous et nos successeurs au siège de Viviers.

1. En premier lieu, nous leur accordons, pour cette cause et pour les promesses ci-dessus à remplir en tout temps, qu'aucun homme ayant maison à Largentière et y habitant, ne puisse être forcé, pour achats ou ventes, de payer des leudes, si ce n'est de la boucherie et de ce qui tient à la boucherie.

2. Tout habitant jouissant de la plénitude de ses facultés a le droit de remplir, le cas échéant, les fonctions d'arbitre et par suite le droit d'exiger des cautions, de faire prêter serment par les parties, de citer les témoins et de rendre un jugement dans une affaire à lui soumise, à moins qu'il ne s'agisse d'une chose extraordinaire, de celles dont la connaissance est dévolue au bailli et aux juges féodaux.

3. Nous accordons qu'on ne pourra exiger que 8 deniers de tout homme du lieu pour une quarte de faune à cuire, portée ou remportée.

4. (Ce paragraphe, rendu encore plus obscur par les lacunes de la copie, parait signifier que :) lorsque deux mineurs, ou un groupe de mineurs, auront entrepris une galerie, et se seront partagé les ouvertures, si l’ un d'eux a besoin du concours de l'autre, soit pour la ventilation soit pour autre chose, le seigneur de la partie en souffrance pourra faire travailler sur l'autre partie, tous les droits du seigneur sur le terrain duquel on travaille étant réservés. 

5. Nous accordons que l'homme ou la femme adultères, pris en flagrant délit, devront courir nus de jour, à travers la ville de Largentière, toute accusation plus grave mise de cote ; aucune autre peine cependant ne sera infligée pour ce fait aux coupables qui auront couru…

6. Aucun revendeur d'avoine ou de denrées portées à Largentière ne doit acheter sur le chemin ou dans la ville, avant que la sixième heure du jour soit passée, exception faite des chairs de la boucherie le contrevenant perdra sa marchandise et le prix, et de plus il aura à payer cinq sols à la curie des seigneurs. 

7. Tout homme de Largentière pourra, dans la ville, sans encourir de peine, saisir son débiteur, à la condition toutefois de l'avoir fait sommer huit jours à l'avance, par la voie des baillis ou des consuls, d'avoir à payer son créancier. 

8. Si quelqu'un a avancé une somme d'argent à un autre pour une affaire, mais, avant la réalisation de l'affaire lui a retiré son crédit, si un second créancier survient, et permet par ses avances à son débiteur de réussir, ce second créancier devra être préféré au premier pour le remboursement de sa créance. 

9. Si quelqu'un dépose ses biens à Largentière, ils devront y être en sûreté, et le déposant ne peut les perdre par le fait d'une guerre de son seigneur, en dehors de sa propre faute. 

10. Si quelqu'un en dépouille un autre de son argent, le coupable sera obligé de payer les dépenses faites pour le lavage, le broyage et la fonte de l'argent nécessaire à la restitution (c'est-à-dire la main d'œuvre, l'évêque consentant à fournir le minerai).

11. Une affaire étant portée en justice, les dépenses du tribunal ne doivent pas être exigées des parties, tant que l'affaire n'est pas terminée, soit par composition, soit par jugement alors les frais seront exigés du perdant, et le gagnant n'aura rien à payer.

12. Quand quelqu'un meurt à Largentière sans testament, s'il n'y a pas d'héritier présent, ses biens seront mis en dépôt à la curie, pour être rendus à l'héritier légitime s'il se présente dans le délai d'un an ce terme expiré, les dits biens pourront être confisqués par la curie.

13. Si les biens d'un coupable avéré doivent être confisqués, ses créanciers passeront avant le payement des condamnations fiscales. 

14. Personne à Largentière ne sera obligé de payer la leude sur les poireaux, les choux, les racines, les aulx, les oignons, les raves. 

15. Toutefois, si les autres seigneurs de Largentière ne faisaient pas les mêmes concessions et n'accordaient pas les mêmes immunités, notre libéralité ne doit être en rien préjudiciable à l'Eglise de Viviers, bien que, d'après l'ancien droit, niello impedimento obstante, uti possimus.

16. Que si les autres coseigneurs voulaient s'opposer de quelque manière aux concessions et immunités par nous données à la ville de Largentière et à ses hommes, nous vous promettons de bonne foi de les maintenir de tout notre pouvoir et de les défendre. 

17. Item, nous vous promettons que nous agitons de bonne foi pour que les autres coseigneurs vous fassent les mêmes concessions. 

18. En outre, par équité, nous statuons que si une partie devant le tribunal a tous les avocats, les baillis assigneront, dans la forme légale, un avocat à la partie qui n'en a point. 

Et moi, Guillaume de Montaigu, notaire, d'après le mandat reçu du seigneur B. évêque de Viviers et des consuls de Largentiére, savoir, Louis Boucher, Louis Colomb et Louis Sun, j'ai écrit et signé cet instrument tel qu'il est ci-dessus, l'année de l'Incarnation de N. S. le 4 des Kalendes de Septembre 1215, en présence des témoins ci-nommés R. André, Guillaume Arman, Louis Julien, Etienne de Tauriers, Armand Violateur, Guillaume de Chase, Jean Templier, Benoît Boucher, Etienne Maschal, Bertrand d'Avignon, Guillaume Colen, Bruno Fabre, Guillaume Onosos, Rainaud de Lanas, Guillaume Bêcher, Hugon d'Aubusson, Robert Clerc, Louis Delisle.

 Cette période est aussi celle du début de la croisade contre les Cathares que le comte de Toulouse va subir de plein fouet dans toutes ses possessions.

Le  pape Innocent VIII, qui dès l'année 1198, avait pris une attitude très hostile au comte de Toulouse, et aux autres princes du midi de la France, soupçonnés de pactiser avec les hérétiques, provoqua une croisade contre eux, en 1209, à la suite du meurtre de son légat, Pierre de Castelnau, dont on rendait Raymond VI responsable. 

Au mois de juin 1209, Milon, légat du pape, réunissait un concile à Montélimar, en attendant l'arrivée des croisés. Le comte de Toulouse y vint, et fit sa soumission au pape. Le comte assura le concile de ses bonnes intentions et s'engagea à remettre, en garantie de sa bonne foi, sept de ses plus forts châteaux, parmi lesquels celui de Fanjau, qui fut confié à la garde de Burnon. Il reçut alors l'absolution et, dans la crainte de perdre ses Etats, il se joignit aux croisés pour combattre ses propres sujets…

Pendant que la guerre continuait en Languedoc avec des alternatives de succès et de revers, le comte de Toulouse cherchait toujours à se concilier l'Eglise pour sauver ses Etats. C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut examiner la transaction suivante qui fut conclue, le 10 août 1210, à Saint-Saturnin-du-Port (le Pont Saint Esprit) entre lui et l'évêque de Viviers. 

Il y avait contestation entre le seigneur Burnon, évêque de Viviers, et ses chanoines, d'une part, et le seigneur Raymond, comte de Toulouse, d'autre part. Le seigneur évêque et ses chanoines se plaignaient de ce que le seigneur comte avait fait construire sur leur fonds le château de Fanjau, et ils prétendaient que, comme construit sur leur terrain, ce château leur appartenait. Ils se plaignaient aussi que le comte avait fait plusieurs acquisitions dans leurs fiefs, savoir, dans les mines de Largentière, d'une setzena, fonds dont la septième partie du produit était due au seigneur, que possédait Etienne de Tauriers, et d'une autre setzena appartenant à Pons de Rochefort, en outre, du château d'Alsaz, de la tour de Pierre de Vernon à Montréal, et du château d'Etienne de Tauriers, au mont de Brison. Ils prétendaient aussi que tout ce que le comte percevait soit à Fumpa soit à Largentière, il l'avait acquis injustement parce que c'était des alleux de l'église de Viviers. De plus l’évêque et les chanoines révoquaient la transaction faite entre l'évêque Nicolas, d'heureuse mémoire, et Raymond V père du comte, et conséquemment ils demandaient la restitution des châteaux d'Aiguèze, de Grospierres et de Remoulins, ainsi que des deux cents marcs d'argent et des six deniers, que le comte, en vertu de cette transaction, prélevait sur chaque marc d'argent qu'on tirait des mines de Largentière. Ils se plaignaient encore que le père du comte et le comte lui-même, leurs baillis et les Aragonais, leur avaient causé de grands dommages à Largentière et dans d'autres lieux du Vivarais en conséquence, ils demandaient que satisfaction leur fût donnée…

De son côté, le seigneur comte de Toulouse, au sujet de l'acte passé entre lui et le seigneur évêque Nicolas d'heureuse mémoire et les chanoines de Viviers, relatif aux conventions faites entre eux sur les mines de Largentiére, se plaignait que le seigneur Burnon et ses chanoines n'avaient pas voulu le ratifier en le scellant de leur sceau, bien qu'ils y fussent tenus par l'acte lui-même. 

Finalement le seigneur évêque de Viviers, les chanoines et le seigneur comte de Toulouse, après avoir exposé leurs raisons devant Hugues, évêque de Riez, légat de la cour romaine, et maître Thédise, tous les deux délégués par le souverain pontife, convinrent de mettre fin à leurs différends et prirent à cet effet pour arbitre Raymond, évêque d'Uzès, qui leur fit accepter amiablement les articles suivants.

Il fut convenu que l'évoque Burnon se désistait pour toujours, à l'égard du seigneur comte de Toulouse et de ses successeurs, de la demande qu'il avait faite au sujet du château de Fanjau, et qu'il lui donnait et confirmait ce même château comme fief, suivant les prescriptions énoncées plus bas. Il lui donne encore en fief, et suivant les mêmes prescriptions, la partie qui lui revenait de la maison sise près du château. Il lui concède aussi en fief, et suivant les dites prescriptions, les autres parties de cette même maison appartenant à Bermond d'Anduze ou à Pierre Bermond, son fils, ou à Aymar de Poitiers, si le comte en fait l'acquisition. Il lui accorde, en outre, le pouvoir de bâtir le château de Fanjau selon son bon plaisir, mais seulement dans l'enceinte des fossés qui environnent le château et de faire, en dehors des fossés, des murs de défense ou fortifications, mais à condition qu'il ne permettra de construire aucune maison d'habitation sur le sol qui est autour du château.

De plus, l'évêque se désiste de la demande qu'il faisait au comte relativement aux châteaux d'Aiguèze, de Grospierres et de Remoulins, aux deux cents marcs d'argent et aux six deniers que le comte perçoit pour chaque marc d'argent, lesquelles choses ont été stipulées dans le traité conclu entre feu l'évêque Nicolas et Raymond, père du comte. L'évêque fait remise au comte de toutes les prétentions et demandes susdites, et aussi des méfaits et dommages causés par le comte ou par son père, ou par d'autres en leur nom, suivant ce qui a été dit plus haut sont exceptées toutefois les réserves, faites par l'évêque et les chanoines, lesquelles sont énoncées plus bas.

De plus, l'évêque de Viviers donne en fief Largentière au comte Raymond, approuvant et confirmant par ce don le traité fait entre l'évêque Nicolas et le comte Raymond, sauf les articles auxquels il est dérogé et ceux qui sont abrogés par le présent traité. Cette donation comprend la moitié des mines de Segualières. de Chassiers et de Tauriers, ainsi que la moitié des mines maintenant ouvertes ou de celles qu'on ouvrira dans la suite, depuis la rivière de Lende jusqu'à Tauriers, et depuis le Roubrau jusqu'à Chassiers, de sorte que le comte percevra la moitié des produits ou redevances qui proviennent ou proviendront de ces mines, des hommes, des protections, des justices, des fours, des moulins, des farinières, des proclamations des impôts, des tailles, des servitudes, des lods, des ventes et de toute contribution juste ou injuste, de tous autres produits ou revenus, et de quelque manière qu'ils puissent provenir il faut excepter la dîme de la dîme que l'évêque et son Eglise se réservent et ce que Hugues d'Ussel a donné à l'Eglise de Viviers, sur quoi l'évêque n'a fait aucune concession au comte.

Et, en raison de ces concessions, le seigneur comte doit jurer fidélité au seigneur évêque, lui faire son serment de défendre son Eglise, les chanoines, les clercs, les biens et les droits de cette même Eglise, lui promettre de n'acquérir aucun château ou partie de château, aucun fief ou partie de fief qui peuvent se trouver dans la mouvance de l'Eglise de Viviers, sans le consentement de l'évoque et des chanoines, et lui rendre hommage de reconnaissance pour le château de Fanjau, à chaque changement d'évêque ou de comte.

De plus, le seigneur comte doit rendre au seigneur évêque la setzena des mines qu'il avait acquis d'Etienne de Tauriers, laquelle est du fief de Tauriers, retenant toutefois pour lui un quart de cette setzena en vertu de la concession que lui a faite l'évoque Nicolas, et lui rendre aussi la setzena des mines que le comte a acquise de Pons de Rochefort, laquelle est aussi du fief de Tauriers. Quant aux fiefs de Malet, du Mont Brison, de Pierre de Vernon et d'Alsaz, l'évêque de Viviers doit prouver qu'ils lui appartiennent, devant le seigneur évêque d'Uzès, soit en la présence ou en l'absence du comte, soit en la forme judiciaire, soit de toute autre manière, selon que le voudra le seigneur évêque d'Uzès.

Dans le cas où le comte devrait restituer ces fiefs à l'évêque ou le laisser jouir en paix de ceux qui sont en la possession de cet évêque, celui-ci devrait rembourser le prix que le comte a donné pour l'achat de ces fiefs. De plus, le seigneur comte a donné et concédé au seigneur évêque le tiers de tout ce qui pourra lui revenir à Fumpa ou dans les dépendances et, pour ce tiers concédé, l'évoque devra contribuer en proportion aux dépenses nécessaires à Fumpa, mais ne devra rien rembourser au comte. Toutes les redevances perçues à Largentière par le comte ou ses baillis et qui appartenaient à l'Eglise de Viviers, doivent être restituées par le comte à l'évêque et aux chanoines.

Quant à la demande faite par Gaucelin de Cornillon, le seigneur comte sera tenu de faire ce que voudra et ordonnera le seigneur évêque d'Uzès. De même, au sujet de la demande des enfants de Guillaume Ricam, le comte devra faire ce que connaîtra ou ce que lui fera connaître l'évêque d'Uzès, de sorte que tout ce que cet évêque décidera, de quelque manière qu'il décide, soit en forme de jugement, soit sur le rapport d'un juge commissaire, devra être exécuté par le comte, comme si la décision avait eu lieu solennellement en sa présence.

Le seigneur comte a concédé encore au seigneur évêque de Viviers de bâtir un château à Largentière ou dans les limites sus-énoncées (entre Lende et Tauriers, Roubrau et Chassiers), excepté sur la montagne où le seigneur comte a bâti le château de Fanjau ; il a promis de venir en aide à l'évêque pourvu que celui-ci veuille lui répondre pour les autres ayant-droit au sujet du château qu'il bâtira. Le comte doit, pendant tout le temps que l'évêque emploiera à faire construire son château, si d'ici lors celui-ci lui concède le château de Fanjau, livrer a Giraud Adhémar (seigneur de Montélimar) le susdit château de Fanjau pour l'occuper aux frais du comte depuis le commencement du carême jusqu'à la fête suivante de Saint Michel, et pour prêter à l’évêque le secours que le comte s'est obligé de lui donner. Après la fête de Saint-Michel, le comte rentrera en possession du château de Fanjau.

Dans le cas où Giraud-Adhémar ne pourrait ou ne voudrait occuper ce château, le comte doit le céder à Mascald ou à Pierre Boucher qui l'occuperont aux mêmes conditions et pendant le même espace de temps qu'aurait dû l'occuper Giraud-Adhémar, et ils devront jurer a l'évêque de lui prêter fidèlement leur secours et celui du château. L'évêque et le comte ont encore convenu entre eux qu'aucun d'eux ne pourra faire d'acquisition, de quelque genre que ce soit, dans le fief de l'autre, soit à Largentière soit ailleurs, sans le consentement de celui à qui le fief appartient mais, dans leurs fiefs respectifs, chacun peut acquérir justement et sans que l'autre puisse y mettre obstacle. Si l'un d'eux fait une acquisition dans le fief de l'autre ou au préjudice de son droit, il devra en faire restitution selon ce qu'en décidera l'évêque d'Uzès.

Sur ce, le seigneur comte de Toulouse a juré, en son nom et au nom de ses successeurs, que tout ce qui a été stipulé dans ce traité, soit en général soit en détail, lui et ses successeurs l'observeront perpétuellement et inviolablement envers l'évêque et ses successeurs et envers l'Eglise de Viviers, et ils feront hommage, pour le fief que le comte a reçu de l'évêque au martyr Saint-Vincent sur son autel de la cathédrale de Viviers, et l'évêque tiendra le bout de la chaîne qui sera autour du cou du comte, quand celui-ci baisera l'autel. Le susdit comte et ses successeurs rendront aussi hommage pour le château de Fanjau a l'évêque de Viviers et à ses successeurs, à chaque changement d'évêque ou de comte feudataire, mais seulement pour reconnaissance.

Enfin, sur la demande de Burnon, évêque de Viviers, parlant pour lui et ses successeurs, Raymond, comte de Toulouse, a répondu, en son nom et au nom de ses successeurs, qu'il observerait toutes et chacune des susdites conventions perpétuellement et inviolablement envers l'évêque et ses successeurs. De même, sur la demande de Raymond, comte de Toulouse, parlant pour lui et pour ses successeurs, Burnon, évêque de Viviers, a promis, en son nom et au nom de ses successeurs, d'observer les conventions sus-énoncées dans leur ensemble et dans les détails, perpétuellement et inviolablement envers le comte et ses successeurs. L'évêque et le comte ont encore ajouté et promis réciproquement que, afin que ce traité soit inviolablement observé, ils se donneront réciproquement pour caution Pons de Montlaur et Dragonnet de Mondragon, ainsi que la majeure et la plus saine partie des habitants de Largentière, avec cette stipulation que, si l'un d'eux violait quelque article du traité, et si, sur la plainte de l'autre adressée à l'infracteur ou à son bailli établi à Largentière, il n'est pas donné satisfaction dans un délai de quatre mois, les cautionnaires seront tenus d'agir contre l'infracteur, de toutes les manières qu'ils pourront, jusqu'à ce que satisfaction ait été donnée suivant la décision de quatre amis choisis d'un commun accord par les deux parties, et d'un cinquième personnage que l'évêque nommera après avoir pris l'avis des quatre amis sus-désignés. 

Ce traité a été fait l'an de l'Incarnation de J. C. 1210, le jour des ides du mois d'août (13 août), au bourg de St-Saturnin sur le Rhône, dans la chambre du prieur de ce bourg, devant le seigneur Raymond, évêque d'Uzès, et en présence des témoins à ce convoqués, savoir Guillaume Gautier, sacristain; Gaucelin de Cornillon ; Bertrand Bonel, chanoine; le prieur de Valbonne; le comte Baudoin R. Jaufrid ; Gaucelin de Monastier; Giraud Audoard ; Vinal ; Pons Sorpille ; Pierre Bouchet ; Bernard de Figeac, compagnons du seigneur comte ; Ariman, Falcon de la Roche, Arcellin, compagnons du seigneur évêque. 

Et afin que les susdites choses, convenues par le consentement et la volonté des parties, ne puissent à l'avenir être révoquées en doute, le seigneur Burnon, évêque de Viviers, et le seigneur Raymond, comte de Toulouse, ont fait sceller cet acte de leur sceau de plomb. Quelques jours après, c'est-à-dire le 17 août, le comte se rendit à Viviers. Le chapitre approuva et confirma le susdit traité dans le cloître du seigneur évêque, en présence et sur la demande d’Hugues de Cabriac, notaire du seigneur comte de Toulouse, lequel fit au martyr St Vincent l'hommage convenu.

La multiplicité des précautions prises dans cet acte montre assez la défiance réciproque des deux parties.

Au mois de janvier 1211, au concile d'Arles, les affaires se brouillèrent encore plus entre le comte de Toulouse et l'Eglise. Le comte fut de nouveau excommunié par les légats, et une lettre du pape, du 17 avril, confirma leur sentence. Dans cette lettre, dont l'évêque de Viviers fut l'un des destinataires, Innocent III interdisait aux évêques de restituer au comte les châteaux et autres domaines qu'il tenait de leurs Eglises, et il leur ordonnait d'en confier la garde à qui elle appartenait de droit.

Deux ans après, le roi d'Aragon intervenait en faveur du comte, son beau-frère, mais il fut battu (et tué) à Muret (13 septembre 1213), et Raymond VI dut de nouveau faire sa soumission. Les croisés continuèrent alors leur conquête. Ils soumirent la Provence, le Rouergue et Nîmes, mais rien ne prouve que leurs troupes soient venues jusqu'en Vivarais. Ici, il nous faut entrer dans quelques détails sur l'attitude des autres coseigneurs de Largentière, c'est-à dire de Pierre Bermond de Sauve (ou d'Anduze) et d'Aymar de Poitiers.

Le premier parait avoir toujours marché d'accord avec l'évêque de Viviers, malgré sa parenté avec le comte de Toulouse. Il était, en effet, le frère d'un autre Pierre Bermond, qui avait épousé Constance, fille de Raymond VI, et dont le fils, marié à Josserande de Poitiers, en eut Roger, seigneur de la Voulte. Au mois d'octobre 1214, l'évêque de Viviers concluait l'arrangement suivant avec les Bermond, et un autre coseigneur des mines, nommé Dragonet:

Sachent tous qu'en l'année de l'Incarnation 1214, le 4 des Kalendes de Novembre (29 octobre), nous, Pierre Bermond de Sauve et Bermond,mon frère, nous t'accordons et te donnons, à perpétuité, à toi, évêque de Viviers et à tes successeurs, treize mille sols qui nous étaient dûs pour la bastide de Fanjau, construite du temps de Nicolas, ton prédécesseur, et tout ce que nous avions de droit ou prétendions avoir dans la bastide, appelée Bonnegarde, que tu as élevée à Largentiére. Nous jurons, les mains posées sur les évangiles de Dieu, que nous ne t'inquiéterons jamais, toi ni tes successeurs, d'une manière quelconque, au sujet de ces bastides.

Nous prêtons aussi le serment de t'aider, toi et tes successeurs, contre tous les hommes qui te feraient éprouver des vexations, pourvu toutefois que tu sois prêt à leur rendre justice devant un tribunal compétent. Nous reconnaissons aussi tenir de toi ou de tes successeurs tout ce que nous avons en fief à Largentière, et l'obligation où nous sommes de t'en faire hommage, à toi ou à tes successeurs, de te jurer fidélité et de t'aider contre tous, comme il est dit plus haut. Et moi, Burnon; évêque de Viviers, je vous accorde et confirme les vingt marcs d'argent par an que Raymond, comte de Toulouse, vous donna sur ses revenus de Largentière, sauf toutefois l'hommage et la fidélité que vous me devez pour cela à moi et à mes successeurs. Et moi, Dragonet, je te jure à toi Burnon, évoque de Viviers, les mains posées sur les saints Evangiles, qu'en tout temps de ma vie, je t'aiderai toi ou tes successeurs, contre tous ceux qui vous vexeraient, pourvu toutefois que vous soyez prêts à leur rendre justice devant un tribunal compétent.

Fait à Largentière, devant l'église de Sainte-Marie. Les témoins sont Guigue de Chateauneuf, Bermond de Sauve, Dragonet de Boucoiran, Ato, vicaire de Viviers; Guillaume, archiprêtre ; Etienne de Tauriers, Bertrand de Chateauneuf ; Hermengarde Gervais de Naves, Pierre Guillaume de Noyan, Odilon de Vernon, Bertrand de Laudun, Guigue de Chassiers, Pierre Delisle, Pons de Beaumont, Raymond de Grospierres, Pierre Dalmas, Pierre de Tournon, Dalmas de Luc, Pierre de Malet, Guillaume de la Beaume, Guillaume Arman, Pierre de Naves, Etienne Maschal, Pierre Boucher, Bernard Rocher, Bermond Botelier, Hugues Roux, Hugues Renard, Jean Dehaut, Guillaume Berche, Arnaud Meunier, Pierre... Nicolas de Berzème, Michel d'Alberges, Guillaume de Chazeaux, Guillaume Etienne, Etienne Gast, Bernard, Guillaume, Imbert, Bertrand Brun, lmbert Dupont, Brun Fabre, Jeune de Viviers, Agules et moi Guillaume de Montaigu, notaire.

Nous ignorons comment et à quelle époque les Bermond d'Anduze devinrent coseigneurs de Largentière. On a vu qu'en juillet 1108, Nicolas, évoque de Viviers, donna, en fief à l'un d'eux le sixième de Segualières, de Chassiers et de Tauriers, depuis la rivière de Lende jusqu'à Tauriers, et de Roubrau jusqu'à Chassiers, avec leurs revenus sur les hommes, tenanciers, justice, fours, etc. 

En 1200, le 6 des Ides de Juillet, Pierre Bermond rendait hommage à l'evêque de Viviers de tout ce qu'il avait à Largentière. 

En dépit de l'acte de 1214 qu'on vient de lire, Raymond VI fit en octobre 1218 un accord avec son petit-fils, Pierre Bermond de Sauve, par lequel il lui donne, entre autres choses, le droit et la domination qu'il avait sur les terres de Bermond d'Anduze, oncle paternel du même Pierre, soit que Bermond les possédât en son nom, soit en celui de Vierne, sa femme, spécialement le château de Joyeuse en Vivarais.

En 1220, ce Pierre Bermond fit hommage à l'évêque de Viviers. Les destinées ultérieures de la part de seigneurie des Bermond à Largentière sont indiquées par les faits suivants Roger d'Anduze, devenu seigneur de la Voulte, reçut de son père en 1254, sa part de la parerie de Largentière. II en fit hommage à l'évêque de Viviers en 1298, le jeudi avant la fête de St-Mathieu. 

En 1363, le 28 septembre, Louis d'Anduze rendit hommage à son oncle, Aymar de la Voulte, évêque de Viviers, de tout ce qu'il possédait à Largentière. Il est à noter que Guillaume, seigneur de Sceautres, un fils du second lit de Bermond II, avait reçu de son père, en 1357, une part de sa parerie de Largentière.

En 1375 (23 avril), le nouvel évêque de Viviers, Pierre de Sarcenas, recevait du seigneur de la Voulte l'hommage de sa parerie de Largentière. Celle-ci fut enfin vendue, en 1393, par Louis d'Anduze à noble Pons de Tecel (ou Cecel) d'Aubenas (acte reçu Me Mouraret, notaire à Largentière), et l'acquéreur fut mis en possession, le 29 avril de cette année. Des Tecel, cette part passa aux Taulignan, puis aux Tourton de Mortesaigne, aux Chanaleilles, sieurs de la Saigne, aux Vocance, aux Chambaud de St-Lager, et enfin aux Vachier de la Molière, à qui elle appartenait encore en 1731.

L'attitude d'Aymar de Poitiers, comte de Valentinois, fut bien différente de celle des Bermond d'Anduze. Ce personnage ne cessa pas de se montrer hostile à l'évêque de Viviers, et voici comment l'écrivain, qui a le mieux étudié son histoire, indique le rôle qu'il joua dans la guerre des Albigeois.

 « Parent et ami dévoué du comte de Toulouse, Aymar régla constamment sa conduite d'après celle de ce prince. Aussi, dès le premier jour, fut-il tenu pour suspect par les légats et les évêques. Lorsqu'au mois de juillet 1209, l'armée des croisés, forte de 50,000 hommes, s'avançant vers la vallée du Rhône, s'appelait à gagner le pays d'Alby, Aymar voulut conjurer l'orage, et, en homme avisé, à l'exemple de Raymond VI, il prit la croix. On le trouve au sac de Béziers. Son attitude toutefois ne tarde pas à changer. Dès que la rupture entre Raymond et Simon de Monfort est consommée, il ne cache plus ses véritables sentiments. Il s'applique de toutes manières à paralyser et à combattre l'action des légats, il envoie des secours dans le Toulousain et il suscite une guerre désastreuse à l'évêque de Die (frère de Burnon), un des zélés pour la croisade.

La fortune ne secondant pas son allié, qui avait été vaincu à Muret, il se met en mesure de prévenir une attaque de Simon de Monfort. Il fortifie ses châteaux, et lui-même, à la tête de nombreux guerriers, occupe une place (Crest), devant laquelle on l'a prévenu que Simon doit passer. En effet, quelques semaines après la bataille de Muret, le chef de la croisade conduisait par la rive droite du Rhône ses soldats dans le Valentinois, bien résolu d'infliger à Aymar un châtiment. Il passa sous les murs de la place où était le comte. Ni l'un ni l'autre ne crurent prudent d'engager le combat. Simon se trouvait à Valence le 4 décembre 1213. De là, il se rendit à Romans pour y rencontrer le duc Eudes de Bourgogne et les archevêques de Lyon et de Vienne. Aymar fut invité à une conférence où on lui signifia de cesser toute opposition à la croisade et de faire la paix avec Simon de Monfort. Comme on ne parvenait point à l'y décider, le duc de Bourgogne, irrité, menaça de s'unir à Monfort pour l'obliger à se soumettre. La pression exercée sur le comte de Valentinois fut telle qu'il promit d'obéir et qu'il livra à Simon de Monfort quelques-uns de ses châteaux dont la garde fut confiée au duc de Bourgogne. Ce ne fut en réalité qu'une suspension d'armes. »

Pons de Montlaur, baron d'Aubenas, autre coseigneur de Largentière, aurait aussi manifesté vers cette époque des dispositions hostiles à l'évêque de Viviers, ce qui, après l'hommage rendu par ce seigneur à Burnon en 1207 pour son château de Mayres, aurait besoin de pièces justificatives. Les historiens qui rapportent ce fait s'empressent, d'ailleurs, d'ajouter que Montlaur, saisi de frayeur à l'approche de Monfort, alla à sa rencontre pour l'assurer de son amitié. Burnon assistait, en janvier 1215, au concile de Montpellier, où Raymond VI fut déclaré déchu de tous ses droits, et Simon de Monfort, élu prince du pays à l'unanimité. Le pape approuva cette décision par une lettre du 2 avril, et commit à Monfort la garde de tous les domaines que le comte de Toulouse avait possédés. Il prit même le soin plus tard de préciser ses intentions pour ce qui regardait l'église de Viviers, en chargeant son légat Conrad de veiller à ce que l'évêque Burnon ne fut pas inquiété dans la possession de Largentière. En conséquence des instructions pontificales, Monfort, ayant accompagné jusqu'à St-Antoine de Viennois le cardinal légat, Pierre de Bénévent, qui retournait à Rome, reçut en fief, à son passage à Loriol sur le Rhône, des mains de Burnon, le château de Fanjau et la moitié des revenus de Largentière « qui étaient tombés en commise par le délit du comte de Toulouse». 

Encore un document qu'il est essentiel de donner en entier, parce qu'il est, caractéristique des précautions que croyait devoir prendre l'évêque de Viviers contre un retour offensif du comte de Toulouse et de ses alliés :

Burnon par la grâce de Dieu, évêque de Viviers, etc. Sachent tous que nous concédons et donnons en fief au seigneur Simon, comte de Leicester, seigneur de Monfort, vicomte de Béziers et de Carcassonne, et à ses successeurs, le château de Fanjau en Argentière, et la moitié de tous les revenus, tant de justice qu'autres, qui, par le délit de comte de Toulouse, sont tombés en commise dans la ville d'Argentière, ainsi que la moitié du commun de paix dans tout le diocèse de Viviers, à cette condition qu'il devra lui-même (Simon) demander au pape Innocent de nous donner l'ordre de lui livrer et remettre ledit château et les dits revenus. S'il ne pouvait obtenir cela du pontife romain, et si nous, évêque de Viviers, pouvions obtenir du pontife la concession dudit château d'Argentière et de ses revenus, nous assignerons également le château en question et la moitié des revenus au comte, après restitution préalable de la moitié des dépenses, dans la forme et aux conventions indiquées plus bas, si le dit comte a demandé au pape des lettres constatant que nous agissons avec la permission et la volonté du saint siège. Il est de pacte que le comte doit, pour ledit château et pour les revenus assignés, à nous B. évêque de Viviers et à nos successeurs, faire hommage et jurer fidélité; promettre de prêter conseil et secours, à nous et à nos successeurs, dans les limites de notre diocèse, contre tous les hommes qui feraient la guerre à l'évoque, pourvu que l'évêque soit prêt à leur rendre justice promettre de défendre la paix, les églises, les chemins publics, les châteaux et toute la terre de l'évoque et de l'Eglise de Viviers, de bonne foi, de toutes ses forces et à ses frais, contre tous les hommes, dans les mêmes limites; ajoutant par serment qu'il nous laissera, nous et nos successeurs, jouir en paix de toutes les possessions que nous tenons aujourd'hui, châteaux ou autres, ne nous inquiètera en aucun temps, nous et nos successeurs, à leur sujet, ne fera aucune acquisition de nos possessions ou autre fief qu'a ou pourra avoir l'évêque de Viviers en Argentière ou dans tout le diocèse de Viviers, par lui ou par un autre, à une occasion ou titre quelconque, et n'empêchera pas l'évêque de Viviers de faire des acquisitions, suivant sa volonté, en Argentière ou dans d'autres fiefs épiscopaux, à l'exception de ceux que nous lui accordons.

De plus, nous lui accordons pour cinq ans la moitié du revenu des dîmes que les laïques détiennent, c'est à dire des fruits, prés, jardins, bestiaux, pêcheries et autres dont les canons ordonnent la levée. Nous lui faisons cette concession à la condition qu'il s'obligera, par promesse formelle, de forcer militairement tous les laïques de notre diocèse au payement de ces dimes. Les cinq ans passés, lesdites dimes reviendront intégralement à l'évêque de Viviers et le comte n'en touchera rien, toutefois il sera tenu à perpétuité, et ses successeurs également, d'assurer le payement de ces dîmes à l'évêque. Nous réservons, à nous et à nos successeurs, autre moitié des revenus que le comte de Toulouse avait à Argentière et, dans le serment de fidélité que le comte da Monfort nous prêtera, il sera tenu d'insérer qu'il nous garantira cette moitié intacte, qu'il ne la diminuera en rien et qu'il en fera jouir pacifiquement nous et nos successeurs. Quant audit château de Fanjau, le dit comte Monfort a juré sur l'Evangile de le rendre et restituer, lui ou celui qui le tiendrait en son nom, à nous et à nos successeurs, chaque fois et autant de fois qu'il en serait requis par nous ou notre représentant.

Dans le cas toutefois où quelque roi de France ferait la guerre à quelque évêque de Viviers, le comte Monfort ne sera pas tenu d'aider personnellement l'évêque contre le roi, mais il fournira des soldats et des clients pour la défense du château de Fanjau et d'Argentière. Mais nous et nos successeurs, nous sommes tenus de défendre ledit comte et ses héritiers contre tous les hommes, et de l'aider au sujet dudit fief, autant qu’il nous convient et qu'il dépend dudit fief. Tout cela doit être compris de bonne foi par nous et nos successeurs, ainsi que par le comte et ses successeurs. Pour en assurer l'observation et écarter tout doute, nous et ledit comte avons fait le présent instrument et l'avons confirmé en le revêtant de nos sceaux. Fait à Loriol en l'année 1215, Nones de Juillet (4 juillet).

Le passage le plus curieux de cette pièce est celui où la prévision d'une attaque d'un roi de France contre l'évêque de Viviers est exprimée. Cette prévision répondait, selon toute vraisemblance, à quelque manifestation plus ou moins comminatoire venue de Paris, et facile, d'ailleurs, à expliquer par le fait que les évêques de Viviers n'avaient pas cessé jusqu'alors de reconnaître la suzeraineté des empereurs d'Allemagne. Il est à remarquer que c'est en cette même année 1215 que Burnon pour s'assurer la fidélité des habitants de Largentière, leur octroya officiellement la charte de libertés.

Cependant, malgré les décrets des conçues, le Midi supportait mal la domination des hommes du Nord, et quand Raymond VI et son fils reparurent, ils furent reçus avec enthousiasme. Son plus chaud partisan, dans la région du Rhône, fut Aymar, qui reprit les armes en 1216. L'année suivante, Simon de Monfort, ayant battu le comte de Foix, se retourna vers le Valentinois. Longeant la rive droite du Rhône, il arrive à Pont-St-Esprit où nous le trouvons le 14 juillet 1217. Burnon lui fournit des bateaux et il franchit le fleuve malgré les efforts d'Aymar. Montélimar lui ouvre ses portes. Les croisés continuent leur campagne victorieuse jusqu'à Crest, où la paix se conclut sur la base d'une promesse de mariage entre le fils de Monfort et la fille du comte de Valentinois. Le triomphe de Monfort est de courte durée. Pendant qu'il guerroyait sur le Rhône, Toulouse avait ouvert ses portes à Raymond VI, et Monfort du partir en toute hâte pour aller essayer de réduire la ville rebelle. 

En janvier 1218, Monfort, sur l'ordre du pape, restituait à l'évêque de Viviers le château de Fanjau, par le motif que l'aliénation en ayant été faite en 1210, au préjudice de l'Eglise, en faveur du comte de Toulouse; qui n'y avait aucun droit, il s'ensuivait que ce château ne faisait point partie des domaines du comte, et par conséquent ne pouvait être compris au nombre de ceux qui par le délit de Raymond VI, avaient été confiés à Monfort. Monfort fut tué, au mois de juin de la même année, au siège de Toulouse, et son fils, Amaury, qui n'avait pas ses talents militaires, ne tarda pas à succomber sous le poids de la lourde tâche que son père lui avait laissée. D'ailleurs, à la mort de Raymond VI (1222), les populations se groupèrent de plus en plus autour de son fils, en qui se personnifiait la cause de l'indépendance du Midi et, les anciennes questions religieuses étant laissées à l'arrière-plan,  la revanche devint de plus en plus facile pour Raymond VII. Après la mort de Monfort, lorsque les domaines du comte de Toulouse furent partagés entre son fils et les croisés, le concile de Latran attribua à l'évoque de Viviers toutes choses, et spécialement en ce qui concerne le château de Fanjau et de Largentière, comme vous savez que ce droit lui a été concédé par le siège apostolique...»

Mais les événements se précipitent. Amaury, vaincu, quitte le Languedoc en 1224 pour aller vendre ses droits au roi de France. Une nouvelle lettre d'Honorius, écrite du concile de Montpellier, le 24 août de cette année, au doyen et au chantre de Valence, ainsi qu'au sacristain de Romans, montre que Largentière était alors retombée au pouvoir du comte de Toulouse, l'entière propriété de Largentière, de ses châteaux et de ses mines. Cette question revient dans une lettre du pape Honorius III en 1223. Informé qu'Amaury de Monfort, a proposé une trêve à Raymond VII, le pape écrit le 19 juillet, à son légat Conrad pour lui recommander les intérêts de l'évêque de Viviers:

« …Nous croyons, dit-il, que vous avez à cœur la conservation du droit des églises cependant nous avons jugé utile de vous écrire, afin que si la paix se conclut entre noble Amaury de Monfort et Raymond, ci-devant comte de Toulouse, fils de Raymond, vous y fassiez garantir le droit de l'évêque de Viviers en toutes choses, et spécialement en ce qui concerne le château de Fanjau et de Largentière, comme vous savez que ce droit lui a été concédé par le siège apostolique. Le noble comte Raymond, autrefois comte de Toulouse, nous a fait souvent proposer qu'il souhaitait faire satisfaction à Dieu et à l'Eglise pour ses crimes et rentrer à l'unité ecclésiastique dont il a été séparé à cause de ses excès, mais ses actes démentent ses paroles. Il a si gravement offensé Dieu et l'Eglise que, quand il donnerait même tout son bien, il ne pourrait fournir une satisfaction convenable. Il ajoute excès sur excès et opprime les églises, en sorte qu'il vexe actuellement, comme nous l'avons appris, celle de Viviers, pour ne pas parler des autres, et qu'il s'est emparé de la ville de Largentière, qui est un des principaux domaines de cette église, sous prétexte que son père en a possédé autrefois une partie. Il commet cette vexation, après que le siège apostolique, ayant privé entièrement son père de tous ses Etats pour crime d'hérésie, a confirmé cette ville à l'église de Viviers qui l'avait unie à son domaine par droit de commise. C'est pourquoi nous vous ordonnons d'avertir ce noble d'être attentif à ne pas commettre de nouveaux excès, mais plutôt à réparer les anciens, et à discontinuer de persécuter cette église, nommément dans ce domaine et dans tous les autres, et de lui déclarer que s'il ne se rend pas à nos remontrances et s'il persiste à inquiéter l'évêque de Viviers, c'est en vain qu'il se mette d'obtenir sa réconciliation. Enfin, s'il ne se corrige, vous n'avez qu'a user de censure envers lui et ses complices nonobstant tout appel, car celui qui est lié peut l'être encore davantage».

Le 26 février suivant, le pape renouvelait ses plaintes dans les mêmes termes et aux mêmes dignitaires. Deux ans après, Louis VIII, profitant des divisions du Languedoc, se mettait en marche et soumettait toute cette province. Il mourait en remontant vers Paris, et la guerre continuait encore deux ans, pendant la régence de Blanche de Castille, la mère de Saint-Louis. Enfin la paix fut conclue en 1229. Le traité de Paris du 12 avril laissa à Raymond l'usufruit de son comté, constitué comme dot future de sa fille Jeanne, destinée à l'un des fils du roi de France. Mais le comte abandonnait immédiatement au roi les pays du Rhône limitrophes du diocèse de Toulouse, c'est-à-dire les départements actuels de l'Ardèche, du Gard, de l'Hérault et de la Lozère. L'Eglise romaine eut pour sa part les domaines et les droits féodaux que possédait la maison de Toulouse sur la rive gauche du Rhône, c'est-à-dire le Comtat Venaissin et le marquisat de Provence. Sur les instances du Pape, le roi se chargea momentanément de la garde des terres et des nefs que l'Eglise venait d'acquérir dans l'Empire. On comprend qu'après cette solution, Aymar de Poitiers n'avait plus de raison de continuer son attitude hostile à l'évêché de Viviers, d'autant que c'était son propre neveu, Bermond d'Anduze, qui avait remplacé Burnon sur ce siège. Aussi voyons-nous, dès le mois de décembre de cette année, le comte de Valentinois céder tous ses droits sur Largentière à l'évêque de Viviers.

«Qu'il soit connu de tous qu'en l'année de l'Incarnation du Seigneur 1229, le 17 des Kalendes de Novembre (15 octobre), moi, Adhémar de Poitiers, comte de Valentinois, je remets et abandonne immédiatement à toi, seigneur Bermond évêque, stipulant pour l'Eglise de Viviers, tous droits et actions, réels et personnels ou mixtes, que j'avais ou pouvais avoir dans la bastide ou château dit Bonnegarde, sis à Largentière, château que je sais et reconnais appartenir de droit à l'Eglise de Viviers, et je fais cette reconnaissance pour toute bastide ou château quelconque, bâti ou à bâtir par ladite Eglise, dans tout le tènement du dit Largentière, tel qu'il s'étend de la rivière de Lende à la rivière de Roubrau, et du château de Tauriers et de son tènement jusqu'à la rivière de Lende. Je promets solennellement aussi, pour moi et mes successeurs, à toi seigneur évêque, que dans lesdites limites, je n'élèverai et ne dois jamais élever, pour moi ou pour autrui, un château ou bastide quelconque s'il en était autrement de ma part ou de celle de mon successeur, que ce château tombe de plein droit en commise à l'Eglise de de Viviers et lui appartienne à perpétuité. Item, je promets à toi, évêque de Viviers, que l'héritier de feu mon fils, Guillaume de Poitiers, te fera à toi ou à ton successeur les mêmes pactes de rémission ou convention; ta réquisition, lorsqu'il aura atteint l'âge de puberté, ou bien ce seront ses héritiers. Et je te fais cette dernière promesse, sous la peine de 150 marcs d'argent, avec ce pacte que, la peine encourue, l'héritier dudit Guillaume n'en sera pas moins tenu de remplir les engagements ci-dessus. Et pour tout cela je m'oblige à toi avec tous mes biens, et je te jure, sur les saints Evangiles de Dieu, que je ne ferai jamais rien contre, sous quelque raison de droit, de loi ou usage, renonçant sur ce fait à toute exception et dilation et à tout prétexte légal, qui me serait applicable ou pourrait m'être appliqué. 

Item moi dit Adhémar de Poitiers, comte de Valentinois. je confesse et reconnais à toi seigneur Bermond, évêque de Viviers, que j'ai et tiens de toi et de tes successeurs, en fief, par droit de seigneur, le château d'Antraigues et tout ce que j'ai et dois avoir en mon nom ou autrement dans ledit château et dans tout son mandement, et pour ledit fief, je te ferai hommage et te jure fidélité, ajoutant, par serment prêté sur les saints Evangiles de Dieu, qu'à toi et à tes successeurs à perpétuité, moi et mes successeurs à perpétuité, nous livrerons ledit château et les munitions qui y sont ou qui y seront, quand et autant de fois que toi ou tes successeurs demanderont en personne ou par un représentant certain, de moi ou des miens, l'hommage et la fidélité. Et mes successeurs, en faisant l'hommage à tes successeurs, pour ledit fief, observeront tous les engagements ci-dessus, sans aucune restriction, comme je le fais ici. 

Fait à Basto sur la terrasse qui est devant la porte de Témoins appelés et présents Seigneur Bernard de Veissia, seigneur Giraud Adhémar, seigneur de Pons de Deux-Chiens, Armand de Sanilhac, vicaire de Viviers, Rostaing de Codolet, Jean de Etienne de Mirabel, Pierre Julien, Raymond de Bane, Hugues de Tour, Jourdain de Pierrecase, A. de Barre, Raymond de St-Remèze, Raymond Botaud, Pons de Baume, Charrière, Jauffride de Bane, Pierre de Cantico, Nicolas Corriala, Rostaing de Poiteclaire, Bertrand Sulens, Bertrand de Rochesauve, Raymond Gordes, Raymond de St-Maximien, Pierre de Carsan, Charbaut, Guillaume de Seyrac, et moi Guillaume de Montaigu, notaire public, je fus présent à tout cela, et sur le mandat de l'une et de l'autre partie, j'ai écrit l'instrument et je l'ai signé et j'y ai apposé les sceaux de l'évêque et du comte, d'après leur ordre».

Après cette cession, l'évêque de Viviers restait le seigneur unique et incontesté de tous les châteaux de Largentière sous la souveraineté du roi de France.

Il est à remarquer que le château de Fanjau reparaît en 1306, avec Cheylus, Aps, Balazuc, Joyeuse, parmi ceux qui sont compris dans le domaine royal, d'où peut-être le nom de Béderet (en patois bé de re, biens du roi) donné à la montagne sur laquelle il était perché. Ce château, à en juger par les débris qu'en a laissés l'action destructive des hommes et du temps, n'a jamais été qu'une simple tour, importante surtout par sa position sur la hauteur qui domine à l'est la ville de Largentière. On distingue encore parmi ses ruines une voûte, un côté de la porte d'entrée et les traces du mur d'enceinte. La voûte en question, qu'il serait fort intéressant de percer, forme un des côtés de la cour intérieure, aujourd'hui plantée de vignes, et dont les limites sont parfaitement tracées par les premières assises du mur d'enceinte, restées intactes sous le couronnement grossier que leur a fait la main des vignerons. Le débris de la porte d'entrée, qui se dresse fièrement sur ces ruines, drapé dans le lierre et le figuier, comme Ruy-Blas dans ses haillons, fait penser à cette parole de l'Evangile Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers. Voilà une pierre basse dont le temps et les révolutions, ces impitoyables niveleurs, ont fait le sommet de l'édifice. L'entrée du fort était tournée au couchant, c'est-à-dire du côté le moins facile à être attaqué. La vue, dont on jouit de Fanjau, explique le choix de cet emplacement. On aperçoit au sud les montagnes de la Gorce, de Vallon et des Vans, à l'ouest la tour de Brison, au nord la Champ du Cros et la chaîne de l'Escrinet, à l'est le Coiron. On aperçoit surtout, dans un cercle moins étendu, les cinq tours de Montréal, Brison, Tauriers, Chassiers et Vinezac, qui circonscrivaient l'ancien pays des mines d'Argentière et qui formaient une ceinture de vigies et de défenses, correspondant avec la tour de Fanjau, placée au centre. A propos de Fanjau, nous ne dirons qu'un mot, en passant, de certains personnages antiques, comme Jean, seigneur de Fanjau et châtelain de Largentière en 900 ; Foulques, seigneur de Joanas et châtelain de Largentière en 975; Pons, capitaine-châtelain de Largentière en 1070, qui figurent dans une Généalogie de la maison de Chanaleilles, publiée à Paris en 1888. Toutes ces données, prétendument tirées des manuscrits d'un abbé Chambron, qui n'a jamais existé, sont l'œuvre d'un industriel qui a abusé de certaines crédulités, et ne méritent pas qu'on s'y arrête autrement. Après 1229, Largentière sort pour ainsi dire de l'histoire générale, à laquelle elle était plus ou moins mêlée depuis le commencement du siècle, et on ne trouve plus son nom que dans quelques vieux documents de la contrée. L'événement le plus remarquable pour cette ville dans la suite du XIIIe siècle est la fondation du couvent des Cordeliers, vers 1236, c'est-à-dire dix ans après la mort de St-François d'Assise, le fondateur de l'ordre. Un indice de l'estime dont ces religieux étaient entourés se trouve dans le testament du seigneur d'Aubenas, Pons de Montlaur, qui comprend le couvent de Largentière parmi les divers établissements de Cordeliers à qui il fait des legs (cent sols à chacun). Ce testament est de 1272. En 1274, Héracle de Montlaur, ayant succédé à Pons, fait hommage à l'évêque du Puy de plusieurs de ses châteaux et de l'estrade publique du Puy à la Souche. Cette estrade allait jusqu'à Largentière. Il en est question dans un hommage au roi fait par Pons de Montlaur en 1219, où l'on voit que ce dernier et l'évêque du Puy s'étaient engagés, chacun en ce qui le concernait, à protéger les voyageurs allant de Largentière au Puy par la Souche.


Parmi les rares habitants de Largentière, ou présumés tels, dont nous trouvons les noms dans les documents de la fin du XIIIe siècle, on peut citer :

 Un juenis, de Argenteria, pèlerin à bord du navire .St-Victor, mentionné dans une charte de 1250, relative à un différend survenu à Messine entre les pèlerins et le patron du navire ;

Un Guillaume de Segualeriis et un Etienne Barbe de Largentière, qui figurent dans des actes de 1281, cités par Huillard Bréholles ; Adhémar Julien, de Largentière, témoin aux deux confirmations des libertés d'Aubenas, de 1276 et 1285 ;

 Enfin un Juif, Jacques ou Jacob de Lunel, ainsi qu'il résulte de l'accord conclu en 1285 entre les abbés de Cruas et de Mazan et le prieur de Tournon près Villeneuve (acte reçu par le notaire Pierre Grange), où on lit: 

Acta fuerunt haec apud Villanovam de Berco in domo Jacobi de Lunello Judoei habitatoris Argenteria. 

On remarquera ce nom de Lunel, qui indique très probablement l'origine de cet habitant de Largentière les communautés juives les plus nombreuses en Languedoc vers cette époque étaient celles de Montpellier, de Lunel et du comté de Foix. On remarquera aussi cette qualité de propriétaire d'immeubles; appartenant à un Juif, qu'on trouve aussi à Viviers. 

II est bon de rappeler ici que le droit de propriété fut de tout temps reconnu aux Juifs dans le comté de Toulouse. La réaction contre eux, qui suivit la croisade contre les Albigeois, au commencement du XIIIe siècle, ne modifia pas sensiblement leur situation à cet égard. Le maintien du régime de la liberté ou de l'allodialité des terres et le peu de développement du régime féodal dans le Midi, furent la conséquence de la persistance du droit romain, favorable à l'égalité juridique de tous les hommes libres. Les propriétaires tenaient leurs terres per francum et liberum allodium; ils n'étaient obligés à aucune redevance foncière vis-à-vis des seigneurs du pays, dont les prérogatives se bornaient à certains impôts et à la ustice. L'acte du notaire Grange prouve que ce régime était en vigueur en Vivarais, au moins en certains endroits, pour les Juifs comme pour les autres citoyens. Il eût été, du reste, étonnant de ne pas trouver la trace des Juifs, dans un lieu comme Largentière, où il y avait une exploitation de mines d'argent et un atelier monétaire, d’autant que cette ville, avant d'échoir aux évêques de Viviers, avait été plus ou moins longtemps sous la suzeraineté des comtes de Toulouse.

Quelques mots sur l'ancien atelier monétaire de Largentière, dont un vestige, sous la forme d'un bas-relief, est resté sur la façade de la maison Picaud-Bcaussier, à l'entrée du pont des Recollets, vont former le complément naturel de ce chapitre. Le bas-relief a un mètre de longueur environ sur 60 centimètres de hauteur. Il forme la base d'une des fenêtres du premier étage de la maison. Le sujet forme deux groupes distincts d'un côté, à gauche, trois hommes, dont un tient un coin appuyé sur le métal, tandis que deux autres ont le marteau levé pour la frappe. Le second groupe représente aussi trois hommes occupés à ramasser les pièces de monnaie dans un plateau et à les compter. Tous ces personnages ont les cheveux longs et collés sur les tempes. Ils sont vêtus d'une tunique à manches, serrée au bas des reins par une corde nouée, qui leur ceint tout le corps. On a cru aussi leur reconnaître des brodequins couvrant les pieds jusqu'aux chevilles. Appréciant la valeur artistique du monument, M. de Valgorge trouve qu'il accuse « certains progrès dans l'art de la statuaire il y a de la vie dans les attitudes, dans les mouvements. Les draperies sont passablement traitées elles ne sont pas trop raides...». L'auteur des Souvenirs de l'Ardèche pense que ce bas-relief est du XIIIe siècle. A cette époque, l'ensemble des constructions du château comprenait trois groupes distincts :

- La tour carrée ou donjon, noyée aujourd'hui dans la masse de l'édifice, et qui en fut le noyau, tour qui paraît avoir été construite par les évêques de Viviers

- Les deux tours rondes reliées par un balcon, élevées ultérieurement par les seigneurs d'Anduze et do Poitiers, coseigneurs du lieu

- Enfin, une autre tour ronde, appartenant au comte de Toulouse, dont on voit encore l'emplacement sur la grande terrasse du château, et c'est des ruines de cette tour, dite Argenteria, que serait venu, dit-on, le bas-relief de la maison Picaud. 

Or, cette tradition est formellement contredite par le témoignage des vieillards qui se souviennent de la démolition de la tour en question, et qui affirment que le bas-relief était bien avant cette époque encastré dans le mur de la maison Picaud. Cette tour dépassait d'environ deux mètres celle du donjon, les comtes de Toulouse ayant sans doute voulu affirmer par là qu'ils étaient les seigneurs dominants, et c'est à cause de cette Circonstance que les octogénaires ou nonagénaires d'aujourd'hui se la l'appellent si bien, parce que, dans leur enfance, ils s'essayaient vainement à jeter des pierres jusqu'à son sommet. Elle fut démolie vers 1816, et les matériaux en furent vendus à M. Perbost, qui, ayant acheté la petite usine à soie de M. Bouffonier, à Sigalières, faisait bâtir alors le bel établissement qui couvre aujourd'hui, avec ses dépendances, tout l'espace compris entre la rivière et la grand'route, en face de la gare du chemin de fer. 

Nous pouvons ajouter, d'après le témoignage de M. Léon Picaud, qui a été le témoin de la démolition de la tour Argentière, que le bas-relief de sa maison avait toujours été vu à cette même place par son père et par son grand-père, en sorte que son arrivée là remonterait à l'époque même de la construction de la maison, c'est à dire à une date antérieure au XVIIIe siècle. Notons encore, pour l'avoir entendu dire à M. Léon Vedel, qui s'était beaucoup occupé des questions d'archéologie locale, que le bas-relief avait servi jadis d entablement à une fenêtre à croix de pierre qui datait elle-même du XIVe ou du XVe siècle, laquelle aurait appartenu à une autre construction avant d'être utilisée pour la maison Picaud. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas douter que l'atelier monétaire fût au château, et, par conséquent, que le bas-relief vienne de là. Mais à quelle époque et dans quelles circonstances Voilà ce qu'on ignore et ce que nous allons chercher à élucider autant que le sujet le comporte. En supposant que les évêques de Viviers n'aient pas, comme beaucoup d'autres barons et prélats, battu monnaie avant le XIIe siècle, il est certain que ce droit leur fut alors reconnu par les empereurs d'Allemagne qui exerçaient en ce temps-là une souveraineté, au moins nominale, sur le Vivarais. Nous avons cité les chartes de Conrad (1146), de Frédéric 1er Barberousse (1177), et de Fréderic II (1214). En janvier 1235, Frédéric II confirma de nouveau aux évêques de Viviers le droit de battre monnaie. Bien que les évêques aient dû user auparavant d'un droit qui leur était reconnu depuis pres d'un siècle, cependant c'est à cette époque que l'on rattache la frappe d'un denier de billon, décrit par M. Poey-d'Avant, qui est la monnaie la plus ancienne que l'on connaisse de ces prélats. La sentence arbitrale rendue en 1289 par l'archevêque de Vienne sur le différend de l'évêque et du chapitre de Viviers, contient deux articles qui méritent de trouver place ici. Le premier (article 15) est relatif au coin et au partage de la monnaie :

 « La monnaie doit être frappée au coin de l'évêque. Le partage doit en être fait entre lui et le chapitre, comme il suit : le chapitre a droit sur 2 deniers pour chaque livre grosse que l'on évalue a deux marcs et demi. L'évêque jouit du reste du produit de l'hôtel des monnaies de Viviers, et même des autres de province, s'il en existe. » 

Le second (article 24), après avoir établi que l'évêque et le chapitre doivent fournir chaque année une subvention de 2 marcs d'argent pour l'entretien de la sacristie, ajoute : « L'un et l'autre pourront employer à cet effet les revenus des mines d'argent du pays d'Argentière».

 Il y avait donc un hôtel des monnaies à Viviers. Mais voici un acte de l'année 1294 où l'atelier monétaire de Largentière est nominalement indiqué. On y voit que le roi Philippe le Bel avait, au mois de mars de cette année, ordonné au sénéchal de Beaucaire de mettre empêchement, au cours de la monnaie qui se frappait à Viviers ou ailleurs, au nom de l'église de Viviers, et à laisser les choses en l'état, jusqu'à ce qu'il fût statué à cet égard par ses deux monétaires, Béchin et Daymier. Le 28 juin suivant, les deux officiers royaux, en vertu de l'autorité qui leur a été conférée, retirent tout empêchement à la frappe et au cours de la dite monnaie récemment frappée à Largentière, de celle-là seulement, et ordonnent qu'elle soit frappée, qu'elle ait cours et qu’elle reste dans les mêmes conditions.

Quelques années après, les évêques de Viviers qui avaient jusque-là accepté la souveraineté des empereurs d'Allemagne, ayant reconnu celle du roi de France, des conventions formelles intervinrent entre Viviers et Paris. Dans un premier traité signé en 1305, il est dit que le roi n'empêchera pas la monnaie de l'évêque d'avoir cours en France inter volontes. Le traité définitif ne fut signé qu'en 1307, et voici l'article qui y figure relativement à la monnaie de l'évêque :

« Nous n'empêchons pas directement ou indirectement que la monnaie dudit évêque, qu'il fait frapper dans sa terre, soit frappée, et ait cours dans la cité de Viviers et dans tout l'évêché de Viviers mais, hors dudit évêché, cette monnaie aura la même liberté qu'auront les monnaies des autres barons hors de leurs terres. Il est à remarquer que le traité de 1307 est reproduit intégralement dans les diverses confirmations que cet acte reçut des successeurs de Philippe le Bel. La dernière est de Charles VI, en date du 23 mai 1383, et le passage ci-dessus y figure également, d'où l'on peut conclure qu'à la fin du XIVe siècle comme au XIIIe, les évêques de Viviers avaient conservé le droit de battre monnaie. 

Notons ici la publication faite à Viviers en 1323 d'une ordonnance de Charles IV, datée du 15 octobre 1322, portant que nulles autres monnaies que celles spécifiées dans l'ordonnance, ne devraient avoir cours dans le royaume. Le dernier article de cette ordonnance, qui en a quatorze, est ainsi conçu: « Que nuls barons, prélats et autres qui ayent droit de faire monnoye, ne ouvreront tant que cette monnoye se fera». On comprend les abus auxquels devait donner lieu le grand nombre de seigneurs investis du droit de battre monnaie, et par suite les mesures de précaution et de surveillance que le roi avait à prendre en vue de les prévenir ou de les punir, en attendant le jour où il pourrait faire de la fabrication de la monnaie un monopole de l'Etat. C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut chercher évidemment l'explication de l'ordonnance de Charles IV, laquelle d'ailleurs, ne s'appliquait pas exclusivement à Viviers mais au royaume tout entier. La seule indication que nous fournisse l'histoire des évêques de Viviers sur l'exploitation des mines de Largentière au XIVe siècle, se trouve dans un passage du manuscrit de l’abbé Baracand, où il est dit, sans indication de source, que l'évêque Henri de Villars, qui siégea de 1330 à 1336, « reprit à grands frais l'exploitation des mines de Largentière, et du produit répara les forteresses du comté, fit rebâtir les prisons, restaura la cathédrale, etc... » Nous laissons à de plus savants que nous le soin de traiter la question des monnaies des évoques de Viviers, nous bornant à constater, d'après les écrivains les plus compétents, qu'on en connaît huit types différents, et qu'ils paraissent être du XIIIe siècle, à part un ou deux qui seraient du XIVe, probablement du temps d'Aymar de la Voulte, qui occupa à deux reprises le siège de Viviers, d'abord de 1326 à 1330, puis de 1336 à 1365. Ainsi les évêques de Viviers ont exercé au XIIIe et au XIVe siècles (en supposant qu'ils ne l'aient pas fait auparavant) leur droit de battre monnaie. A quelle époque leur atelier monétaire, qui a pu être installé successivement à Largentière et à Viviers, a-t-il été fermé? 

En ce qui concerne Largentière, il est évident que la frappe de la monnaie a dû cesser en même temps que l'exploitation des mines. Or, il y a toute apparence que cette exploitation avait cessé même avant la découverte de l'Amérique, ce qui expliquerait l'absence de toute monnaie des évêques de Viviers au XVe siècle. Notons, en passant, que bien qu'ayant parcouru d'assez nombreux registres d'anciens notaires vivarois du XVe siècle, quelques-uns même remontant au XIVe nous n'y avons jamais vu mentionner, dans les paiements, ce qui aurait pu avoir lieu, au moins à titre d'appoint, la monnaie des évêques de Viviers. Presque toutes les transactions se font en monnaie du roi de France, quelques-unes seulement, sur les bords du Rhône, en monnaie viennoise ou valentinoise. 

Au sujet des mines de Largentière, voici comment un ingénieur éminent, qui les a visitées, explique les causes probable de leur abandon : « …Quand on voit la forme des travaux, quand on se rappelle que l'abattage se faisait au moyen du feu et nécessitait un aérage beaucoup plus parfait que ceux que réclament les travaux de nos jours, on peut croire que les difficultés, s'accroissant avec le développement de l'exploitation, purent déterminer l'abandon de ces mines qui, dans tous les cas, durent être suspendues à l'époque des conflagrations religieuses, comme le furent, à ce moment, un grand nombre des exploitations de ces contrées du midi de la France par suite des mêmes causes ». A ces considérations, nous pouvons joindre un témoignage plus précis, d'où il résulte clairement que l'exploitation de ces mines avait cessé bien avant les guerres religieuses du XVIe siècle. Voici, en effet, ce qu'écrivait vers 1560 Jean Pélisson, qui fut le premier principal du collège de Tournon «… Il appert qu'au pays du bas Vivarais, sur la ville de Largentière, en montant à Chassiers, on a tiré là autrefois inestimablement de l'argent, et encore y voit-on la terre toute renversée sens dessus dessous et les apparences manifestes desdites mines d'argent ». 

Un mot pour finir sur les mines de plomb argentifère de Largentière. Le minerai est disséminé fort irrégulièrement dans les couches dolomitiques sous forme de grains, d'amas ou veines. Les anciens mineurs creusaient les galeries au pic dans les endroits ou'la roche n'était pas trop dure ailleurs, on échauffait la paroi à entamer à l'aide d'un grand feu de bois, puis on l'inondait d'eau, ce qui la faisait éclater on en recueillait les débris on travaillait encore quelque temps au pic dans la roche désagrégée, puis on recommençait l'opération ce qui amenait une consommation de bois effrayante. Pour remédier à l'insuffisance de l'air, on usait du moyen tout à fait primitif, auquel fait allusion un article de la charte de 1208-1215, et que décrit ainsi un auteur ancien «. Quand la mine est si profonde et advant sous terre que l'air défault aux ouvriers, on a coustume user de soufflets dans la mine pour donner quelque vent, ou mettre sur la gueulle du puits des moulins aislez en forme de moulins à vent qui chassent et poussent l'air dans la mine ».

En 1885, en faisant des réparations à l'ancienne maison du président Roure (aujourd'hui maison Vital), sur la Halle, on découvrit l'orifice d'un puits, ayant près de 2 mètres de diamètre, et profond de 7 ou S mètres, au fond duquel s'ouvraient deux galeries se dirigeant, l'une vers le château, et l'autre vers le sud, parallèlement à la rivière. Ce puits, comme le fit remarquer alors une note du Bas Vivarais, a de particulier le fini de son travail, ses proportions et sa situation. Placé dans l'intérieur de la ville, à quelques mètres des remparts, ce devait être le puits principal d'entrée et de sortie, le puits de sûreté. Les puits extérieurs pouvaient être, à certains moments, attaqués ou gardes par des ennemis la sortie des ouvriers et du minerai eut été alors impossible ou dangereuse. Les ouvriers échappaient au danger, en se dirigeant sur le poste de l'intérieur, auquel devaient aboutir, au moins en partie, les galeries du bassin argentifère. Il serait curieux et intéressant de parcourir ce labyrinthe qui s'étend sous notre Veille cité et y constitue comme une ville souterraine avec ses rues, ses places et ses carrefours. Une autre entrée principale des galeries souterraines se trouve dans la cave de la maison Vernet, située de l'autre côté de la rivière, près du pont des Recollets. D'après la tradition populaire, les galeries où l'on entre de ce côté, s'étendaient sous une grande partie de la ville et seraient fort curieuses à visiter, mais d'un accès particulièrement difficile. Nous devons toutefois mettre en garde les savants et les curieux contre une prétendue lettre de M. Genssane publiée par une feuille locale il y a une vingtaine d'années, dont l'habile rédaction pourrait faire croire qu'elle émane, en effet, du savant minéralogiste qui a écrit l'Histoire naturelle du Languedoc.

Cette lettre, simple reflet de la tradition locale, fut imaginée dans le but de provoquer des recherches sur les anciens travaux des mines de Largentière, et le journal à qui elle fut envoyée ne s'est jamais douté de la mystification. Quelques ingénieurs ont émis l'avis que, vu l'imperfection des anciens moyens d'exploitation, les parties inférieures des couches métallifères de Largentière n'ont pas été atteintes et renferment encore une quantité notable de métal. La chose est possible, mais la cherté de la main d'œuvre et la concurrence des métaux étrangers n'en rendraient pas moins toujours l'exploitation incertaine. Une tentative eut lieu dans ce sens en 1857, et il y eut vers 1872 jusqu'à 125 ouvriers. Mais l'expérience ne fut pas longue, et en 1880 tous les travaux étaient abandonnés…


Sources:

- Gallica


Photos:

- Jimre (2016)




Posté le 05-02-2017 14:19 par Jimre