Couzan

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Couzan

Nous mettons en ligne une partie d’un livre trouvé sur Gallica, le site de la BNF :

"Le château de Couzan , notice historique et descriptive... / par Maurice Bessey, 1911"

Ne manquez pas d’aller y faire un tour, en ces temps de confinement...


"Visite de Couzan

…Depuis longtemps j'avais proposé à quelques amis une excursion au château de Couzan, vieux manoir féodal qui dresse encore ses murailles crénelées sur l'un des derniers contreforts des monts du Forez.

Tel est encore l'attrait de ces ruines grandioses que ma proposition avait été acceptée sur-le-champ, mais, pour goûter pleinement le charme de notre promenade, nous nous étions résignés à attendre jusqu'au retour de l'été.

Le jour fixé d'un commun accord arrive enfin. Dès la veille, je me rends à Boën pour recevoir mes amis à leur descente du train et arrêter avec eux, dans l'un des hôtels confortables de la ville, les dernières dispositions de notre voyage, Nous causons, nous rions, nous soupons du meilleur appétit, heureux de nous retrouver tous frais et dispos et formant des vœux pour le succès de notre expédition. Un ciel serein, oh scintillent des milliers d'étoiles, nous présage un lendemain magnifique, ensoleillé, avec des concerts d'oiseaux dans les taillis et des brises fraîches folâtrant dans la vallée. Le cœur plein d'espoir, chacun s'en va prendre un peu de repos en attendant que le soleil se lève de nouveau derrière les montagnes du Matin.

Dès que l'aube blanchit la crête des collines, nous nous mettons en route, laissant derrière nous la petite cité qui s'éveille à peine, et, tout en devisant des surprises de la journée, nous marchons allègrement sur la grande route poudreuse.

Bientôt cependant nous abandonnons la route monotone et nous nous engageons, à la file indienne, par l'étroit sentier qui serpente sous l'herbe déjà haute des prairies, côtoyant tout du long cette charmante rivière du Lignon, dont le nom résonne amoureusement à travers nos souvenirs littéraires.

Anémones, pervenches, blanches pâquerettes, toutes ces aimables fleurs des champs se balancent avec grâce sur leur tige légère, comme pour saluer au passage notre petite caravane, et chacun de nous, de cueillir à droite, à gauche, ses fleurs préférées, de les assembler avec plus ou moins de bonheur en un petit bouquet, frais et délicat, dont il fleurit sa boutonnière.

Soudain la montagne s'écarte devant nous, et le vieux château des sires de Couzan nous apparaît, encore tout embrasé des feux du soleil levant, profilant sur le ciel la dentelle de ses créneaux et le contour de sa grosse tour ronde. Nous saluons avec une joie respectueuse le vieux manoir féodal, dont les ruines imposantes et superbes semblent veiller encore sur le pays d'alentour.

Enfin, après une heure de marche, nous arrivons dans le joli bourg de Sail-sous Couzan, agréablement situé au bord de la petite rivière forézienne, au pied du mont qui porte les ruines de l'antique forteresse.

Le village, hier encore pauvre et sans importance, respire aujourd'hui l'aisance et la prospérité, avec ses maisons neuves se prolongeant en bordure de la route, ses belles promenades ombragées de tilleuls et son établissement thermal, dont les lignes élégantes se dérobent derrière des massifs de fleurs et de verdure, la Fée des Eaux a opéré cette merveilleuse transformation en faisant jaillir, des profondeurs du rocher, ces sources d'eau minérale dont le pays est si fier.

Au centre du village et dominant l'épais feuillage de deux gros platanes, s'élève le clocher carré, percé de fenêtres romanes, que surmonte le disque blanc de l'horloge communale.

Malgré l'heure encore matinale, les rues du village commencent à s'animer du va-et-vient des travailleurs et déjà on entend les artisans échanger à haute voix, tout en vaquant à leurs travaux, leurs prévisions sur la belle journée qui se prépare. Nous complétons à la hâte nos provisions de voyage, puis nous commençons, sans plus tarder, l'ascension de la colline.

Le chemin qui conduit au château s'élève bientôt, par une rampe assez forte, au-dessus des toits rouges du village, à travers les vignes du coteau. Vingt minutes à peine, et nous voilà sous les murs moitié éboulés de la première enceinte, grâce à l'amabilité obligeante de M. Marchand, gardien du château, la modeste porte de bois qui ferme actuellement l'entrée de la forteresse, s'ouvre devant nous et nous pouvons explorer à loisir ces ruines augustes, toutes remplies de chevaleresques souvenirs.


Le Château

Plan du château de Couzan d'après les sources

Le temps a comblé le fossé extérieur et emporté les restes du pont-levis qui donnait accès dans la forteresse. Un sombre corridor, de la voûte duquel des pierres désagrégées semblent prêtes à se détacher comme pour intimider le profane qui tenterait de troubler la solitude de ces demeures, conduit à l'intérieur du château. Nous passons, à la hâte et le cœur serré, sous cette voûte menaçante, qui résonne étrangement au bruit de nos pas précipités.

Quel spectacle lamentable s'offre soudain à nos regards ! A gauche, à droite, ce ne sont que salles effondrées, murailles éboulées, tours croulantes, que le lierre étreint dans ses rameaux et recouvre de son feuillage, comme pour en retarder la disparition. Quelques masures appuyées contre le mur d'enceinte et dans un état de ruines plus ou moins avancé, c'est tout ce qu'il reste de ce qui fut autrefois les communs du château, écuries, étables, fauconnier, chenil, etc...

La dernière de ces constructions servait d'habitation aux officiers, pages et écuyers du château. Ses appartements étaient récemment encore peu endommagés, mais en ces derniers temps sa toiture s'est effondrée, entraînant dans sa chute le manteau de plusieurs belles cheminées dont on admire encore quelques vestiges appendus aux murailles. Sur le linteau de la porte apparaît, en relief sur la pierre et surmontée d'une accolade la belle croix ancrée des sires de Couzan.

Nous poursuivons notre marche à travers un amoncellement de débris arrachés aux murailles et disparaissant à demi sous les ronces. Çà et là, d'énormes blocs taillés laissent voir à travers les broussailles des figures sculptées, des inscriptions plus ou moins mutilées, dont le sens nous échappe.

Voici, oubliée au bord du sentier, la curieuse Pierre de la Dîme, que les visiteurs se montrent toujours avec un vif intérêt. C'est un cube de granit creusé en forme de cuvette quadrangulaire et pouvant contenir une quarantaine de litres. On s'en servait autrefois pour mesurer le blé, les grains et autres redevances dues au seigneur. Trois de ses faces sont sculptées, deux d'entre elles présentent une tête radiée comme pour symboliser le soleil, la troisième porte une figure allongée qui, avec sa bouche ouverte et ses yeux clos, semble vouloir tracer l'image du sommeil ou de la mort.

Confiant dans ses biceps robustes, notre ami Georges passe ses deux mains sous l'un de ses angles et s'efforce de la soulever, ou tout au moins de la déplacer. Peine inutile ! « L'union fait la force », nous crie-t-il pour nous inviter à joindre nos efforts aux siens. On lui vient en aide, mais peine perdue derechef : la pierre semble retenue an sol par de solides attaches, que, malgré tous nos efforts, nous ne parvenons pas à rompre.

Un peu plus loin, un toit rustique supporté par une charpente en bois abrite le treuil du grand puits, dont la margelle de pierre, bien qu'effritée par le temps, laisse voir encore de belles formes sculpturales.

Le puits, large et profond, a été creusé au commencement du XVIe siècle, à la base même de l'énorme rocher qui porte la citadelle et, malgré cette proximité défavorable, de mémoire d'homme on ne l'a jamais vu à sec.

Sa paroi est tapissée d'une variété de fougère très rare, dont les botanistes ne manquent pas d'enrichir leurs herbiers. Ces fougères prennent racine dans les interstices des pierres et forment un fourré épais de leurs tiges entremêlées. Elles montent de l'intérieur arrivent jusque près de l'orifice, mais moins vigoureuses et moins denses. Nous nous penchons sur le bord pour en cueillir quelques-unes à bout de bras, prenant garde toutefois que notre centre de gravité, déplacé outre mesure, ne nous entraîne tête première dans l'eau qui là-bas réfléchit notre image, Un magnifique écu (1), aux armes écartelées des Damas et des Lévis avec les armes des Lavieu-Feugerolles en abîme, apparaît sur une pierre, ostensiblement enchâssée dans la maçonnerie, comme pour en attester l'origine féodale.

Un peu plus loin, se trouve le grand portail qui permet de rejoindre en quelques pas l'ancien chemin de Saint-Georges. Cette voie était naguère le seul débouché de la région montagneuse. Les vieillards de Sail se souviennent encore d'avoir vu, dans leur jeune âge» « lou montagnais », au parler rude et à la barbe fruste, de Chalmazel et de Jeansagnère, descendre par ce chemin pittoresque, avec leurs mulets chargés de planches ou de rondins de sapin.

L'enceinte, assez vaste pour abriter aux heures d'alarme toute la population des alentours, était renforcée par des tours semi-circulaires, distantes les unes des autres d'une portée d'arbalète et formant saillie en dehors de la ligne des murailles, pour permettre de prendre de flanc les assaillants.

Un chemin de ronde, reconnaissable à quelques vestiges dissimulés sous le feuillage, courait d'une tour à l'autre sur tout le pourtour de l'enceinte. Trois remparts successifs, dont il ne reste plus trace, mais visibles encore dans le croquis que Guillaume Revel nous a tracé de Couzan vers 1470, complétaient la défense, au nord.

Couzan en 1470 - Guillaume Revel

 Un petit bois de pins occupe aujourd'hui le talus qui de la cour intérieure monte jusqu'au pied des murailles de la citadelle. Des tables et des bancs rustiques, disposés avec intelligence aux points d'où la vue est la plus intéressante, où l'ombrage a le plus de fraîcheur, nous invitent à reprendre haleine et volontiers nous perdons quelques instants à reposer nos jambes fatiguées, à respirer en paix l'air pur du matin, à écouter la mélodie de la brise qui se joue dans la ramure frémissante des pins et dans l'embrasure des créneaux en ruines.

Nous sommes au pied de la citadelle. Par suite de la déclivité du rocher sur, lequel elles reposent, les murailles atteignent de ce côté leur plus grande hauteur, niais la tour géante du donjon domine encore à l'ouest leur faite démantelé.

La grande façade du château se déploie devant nous, large, puissante, nous écrasant de sa masse formidable. « Quelle main de géant, nous disons-nous, a pu jeter sur ce rocher un pareil assemblage de murailles, de tours et de créneaux! ».

Nous pénétrons sous le portail de pierre qui donne accès dans la citadelle. Encore un effort pour gravir une dernière rampe, franchir les blocs tombés des parties hautes de l'édifice et nous voilà sur le seuil de l'enceinte supérieure, qui couronne le sommet de l'énorme rocher granitique.

La Tour du Nord se compose de quatre hautes et solides murailles, bâties sur un plan rectangulaire et flanquées aux angles d'échauguettes, petites tours circulaires, reliées entre elles par des courtines épaisses. Ces courtines étaient elles-mêmes couronnées d'une ceinture de hourds, charpente disposée en encorbellement pour permettre aux défenseurs de battre le pied des murailles. Un chemin de ronde assurait la circulation des défenseurs et le ravitaillement des munitions.

L'ennemi avait-il escaladé les murailles de la triple enceinte et pénétré dans la grande cour, la citadelle brisait de nouveau son élan et entretenait l'espérance au cœur de ceux qui avaient pu se réfugier dans l'enceinte supérieure.

Notre curiosité s'éveille de plus en plus, et, dans le secret espoir de découvrir quelque souvenir historique, quelque relique de ces vieux âges disparus sans retour, nous nous élançons avec impatience à travers le chaos de ces ruines gigantesques. Salles vides, tourelles, postes de guetteur, rien n'échappe à nos impatientes recherches.

Nos regards émerveillés se fixent tantôt sur une cheminée monumentale sous laquelle un arbre entier pourrait flamber à l'aise, tantôt sur des fenêtres aux croisillons finement sculptés, sur des tours d'angle qui semblent comme suspendues dans le vide, ou même ils s'essaient à suivre dans les airs un pan de mur qui monte très haut et ne se tient debout que par un prodige d'équilibre.

Çà et là, au linteau d'une porte, d'une fenêtre, sur le manteau d'une cheminée, apparaissent les armes seigneuriales, comme pour revendiquer les droits du maître absent : « Fiers chevaliers d'autrefois, reviendriez-vous un jour faire refleurir dans cette enceinte les vertus antiques et enrichir de quelques nouveaux faits d'armes l'épopée féodale ? ».

Encore un pas et nous sommes sur la cour supérieure que domine la masse imposante du donjon et qu'entourent de hautes murailles crénelées se, dressant audacieusement au midi, sur le bord d'un énorme rocher à pic. Deux belles fenêtres ouvrent à nos regards deux échappées de vue magnifiques sur la profonde vallée du Lignon et sur la plaine ensoleillée du Forez.

A l'ouest, le donjon dresse encore avec orgueil son large fût cylindrique. Tout autour de lui ce ne sont que murailles renversées, tours découronnées ; la Colline même a été dépouillée des chênes qui l'abritaient : seul l'antique donjon est resté à peu près intact dans sa robe de pierre, qu'un feuillage de lierre ornemente de franges vertes.

Construit vers la fin du XIIe siècle, sur le modèle de ces grosses tours rondes de l'Orient, dont les lignes harmonieuses et puissantes avaient fait, l'admiration des Croisés, le fier donjon s'élève à près de cent cinquante pieds au-dessus de la cour basse du château et domine encore d'une cinquantaine de pieds l'enceinte supérieure.

Le colosse mesure plus de cinq mètres de diamètre intérieur et présente une épaisseur de muraille de 1m50 à la hauteur du premier étage. Un chemin de ronde reliait le donjon à une haute tour carrée aujourd'hui ruinée, puis à la citadelle elle-même. Un escalier dissimulé dans l'épaisseur de la muraille, mais dont l'entrée est encore visible, conduisait aux étages supérieurs. Des fenêtres dominaient au midi la cour inférieure, des postes de guetteurs ménagés dans toutes les directions permettaient de surveiller tous les points de l'horizon.

Avec sa muraille épaisse et son entrée élevée de plusieurs pieds au-dessus du sol, sans parler même des murs crénelés qui en défendaient les abords, le donjon constituait à lui seul une autre forteresse dont la vue rendait l'espérance aux assiégés et retrempait leur courage.

Des milliers de noms et de dates gravés sur le ciment, à la pointe du couteau, attestent la multitude des visiteurs et la puérile vanité de beaucoup d'entre eux.

A l'aspect des murailles ainsi criblées de lettres et de chiffres, Auguste ne peut se défendre d'une réflexion amère : « Stultorim nomina ubique jacent ! » nous dit-il en bon latin, et nous de traduire aussitôt en langue vulgaire : Le nom des fous se trouve partout ! ».

Une porte de guetteur ménagée dans l'épaisseur de la muraille permet à nos regards de remonter l'étroite vallée du Chagnon jusqu'aux premières maisons de Praval.

Nous formons des vœux pour qu'un donateur généreux fasse aménager en belvédère le sommet de la tour. On y accéderait par un escalier en spirale, ménagé dans l'intérieur, comme cela se voit dans certains autres châteaux, dans celui de Châtillon-d'Azergues par exemple. L'horizon reculerait alors, du côté ouest, jusqu'aux Bois-Noirs, aux teintes bleuies par l'éloignement, et jusqu'aux sommets de Pierre-sur-Haute, d'où la neige se retire à peine deux mois de l'année.

Au-dessous du donjon se trouvent les fameuses oubliettes, noirs cachots où le seigneur enfermait ses sujets rebelles ou ses prisonniers de guerre. Une double ouverture par laquelle nous passons en nous courbant jusqu'à terre, nous introduit dans une chambre de forme circulaire, qu'une cloison menée suivant le diamètre partage en deux hémicycles.

Nous avançons en longeant prudemment la muraille afin de laisser l'entrée libre à la lumière et bientôt nous distinguons, dans la demi-obscurité, l'orifice béant qui semble attendre encore quelque victime.

On y descendait le prisonnier à l'aide de cordes, comme dans un tombeau, puis l'on scellait au-dessus de sa tête la lourde pierre de l'ouverture.

Le sol, vaguement éclairé par la lumière blafarde qui pénètre latéralement par d'étroites meurtrières, apparaît profond d'une dizaine de pieds et semé de cailloux que le caprice des visiteurs y a jetés. Les scènes tragiques dont ces murailles furent témoin, hantent fortement notre esprit et nous croyons percevoir encore, à travers un bruit de chaînes, le soupir affaibli d'un de ces malheureux que la tyrannie féodale ou le sort des batailles retenaient enfermés dans ces sombres souterrains.

Mais voici que, sans mot dire, notre ami Georges a escaladé la muraille d'enceinte et se promène triomphalement sur le chemin de ronde. D'un air narquois, il nous invite à le suivre  « Allons, mes amis, nous crie-t-il, donnez-vous la peine de monter, vous ne regretterez ni votre peine, ni votre argent. » Et, ce disant, il nous tend la poignée recourbée de sa canne pour nous venir en aide.

Le gros Louis s'en saisit et s'essaie à grimper en s'aidant de ses pieds, de ses mains, de ses genoux, mais il ne lui est pas facile d'esquiver la loi de la pesanteur, qui s'exerce, inéluctable, sur son petit corps ramassé en boule. Nous l'aidons de notre mieux.

Enfin, tiré par devant, poussé par derrière, il met un genou sur le chemin de ronde, puis se redresse tout fier d'un si bel exploit. Auguste et moi nous grimpons après lui, en nous prêtant un mutuel appui. Enfin nous voici tous les quatre sur le haut de la muraille d'où, accoudés sur le parapet de pierre, nous laissons nos regards s'égarer jusqu'aux horizons lointains.

La partie la plus ancienne du château parait être la tour carrée adossée au côté nord de l'enceinte supérieure. Cette tour, éventrée comme par un coup de bélier, présente encore trois de ses murailles en grande partie ruinées, la quatrième s'est écroulée et ne forme plus qu'un amas informe de pierres recouvert de ronces. Ses angles arrondis et sa disposition en arête de poisson accusent les caractères du XIe siècle.

Néanmoins, le rempart à l'Ouest, avec ses haies étroites à plein cintre, remonte sans doute à l'époque carolingienne, ainsi que la haute tour carrée en ruines qui le termine.

Le donjon a été construit au XIIe siècle, au retour des croisades. Par sa forme cylindrique, il rompt avec les traditionnelles tours carrées ou rectangulaires élevées jusqu'alors. D'autres parties contiguës de l'ancienne citadelle n'ont été élevées qu'au XIVe siècle, pendant la guerre de Cent-Ans.

Les bâtiments à droite de la porte d'entrée datent seulement de la Renaissance, témoin les moulures de cheminée, les accolades et les encadrements de porte du plus pur style italien.

Vers la fin du XVIe siècle, à l'époque des guerres de religion, la forteresse fut renforcée, au nord-ouest, d'une sorte de bastion avancé, propre à l'usage de l'artillerie. Depuis lors, la vie se retire peu à peu du bruyant manoir, Richelieu l'épargne à cause de la fidélité éprouvée de ses seigneurs, et durant la Révolution, nulle revendication ne vient troubler le silence du château abandonné.

Malgré les ravages du temps, le vieux château a encore, de loin, fort belle apparence. La perspective joue avec ses lignes sévères et lui fait prendre tour à tour les formes les plus fantastiques. Aux regards du touriste qui arrive par la route neuve de Saint-Martin-les-Côtes, la citadelle apparaît soudain perchée comme Un nid d'aigle sur un rocher inaccessible, du haut duquel elle commande la vallée du Lignon.

A un certain détour de la route, la vallée s'élargit et le tableau qui s'offre alors aux regards est superbe. Au premier plan, des prairies verdoyantes à travers lesquelles bondit le flot écumeux du torrent et resserrées entre deux rangées de montagnes aux pentes abruptes, hérissées de rochers prêts à se détacher de leur base et à rouler dans l'abîme, aux sommets couverts de cultures ou de pâturages — contraste singulier qui fait de ce coin du pays une petite Suisse forézienne — tandis qu'au loin, sur son gigantesque socle de granit et auréolé de plusieurs siècles de gloire, le vieux château féodal se projette solennellement dans l'échancrure de la vallée. Le rocher nu et grisâtre semble ne percer le flanc de la montagne que pour porter, haut dans les airs et hors de toute atteinte, le fier manoir des sires de Couzan.

Aperçue du hameau des Goutards, l'antique forteresse fait encore bonne figure avec ses murailles crénelées, non encore trop ravagées, mais plutôt brunies par les siècles. Un pan de mur, qui se détache de la dentelle des créneaux, découpe sur le ciel la silhouette d'un moine il capuchon, capucin ou franciscain, avec tant de netteté que l'on s'attend à la voir quitter son impassibilité et se mouvoir sur le faite des murailles. Du côté nord, le château dissimule sa base de granit sous la ramure d'un petit bois de pins et sous la lourde masse des constructions, mais il a néanmoins grand air avec sa ceinture de murailles enserrant le merveilleux assemblage de tours, de créneaux, de pans de mur qui s'élèvent droits et effilés comme des obélisques.

Cette masse imposante surmonte magnifiquement le laite de la colline et le donjon colossal, tout à l'heure invisible, harmonise maintenant l'ensemble du formidable château-fort.


Historique du château

Après avoir exploré jusque dans leurs moindres détails le donjon et la citadelle, nous revenons sur la pelouse de la cour intérieure pour prendre quelque repos et échanger nos impressions. Puis, sur la pressante invitation de mes amis, je leur fais part des notes intéressantes que j'ai recueillies un peu partout sur les nobles sires de Couzan.

Une tradition fort respectable, leur dis-je, nous apprend que le haut de la colline s'entoura dé très bonne heure d'une enceinte fortifiée et que, dès 727, bien avant l'apparition des chevaliers bardés de fer, la place subissait l'assaut des Sarrasins, qui ravageaient alors le pays. Les habitants de Boën « abandonnèrent leurs foyers dans la terreur qu'inspirait le nom de Sarrasins, et s'étant réfugies dans le château-fort, malgré la famine et les autres maux qu'un siège traîne après lui, ils tinrent assez longtemps pour lasser la patience des assiégeants... On en était réduit dans la place au dernier pain : ce que voyant, le chef ne voulut pas le partager entre tant d'affamés, et dans un accès de désespoir, ne voulant faire aucun jaloux, le jeta dans le camp des assiégeants. Ceux-ci, voyant ce pain qu'on leur avait jeté des remparts, pensèrent qu'il y avait encore beaucoup de munitions et abandonnèrent le siège. » (2)

Mais l'histoire véridique reste muette longtemps encore, et ce n'est que bien plus tard que nous trouvons pour la première fois mention du château de Couzan et de la famille de Damas dans un cartulaire de Savigny de l'année 1110.

Ce document nous apprend qu'un plaid de justice fut tenu en présence de HUGUES DALMAS Ier au château, « quod vocatur de Cosant », pour régler un différend survenu entre lui et le prieur de Randan (près de Feurs), au sujet de droits sur quelques églises du Forez, que dom Ithier, abbé de Savigny, tenait de Hugues, archevêque de Lyon (3).

Dès cette époque, Couzan appartient donc à la puissante famille de Damas et s'enorgueillit d'être la première des quatre baronnies (4) du Forez. La fière devise de ses seigneurs, « Et fortis et fidelis », nous dit assez leur vaillance et leur fidélité et, sur l'or de leur blason, la croix ancrée de gueules témoigne du sang versé par l'un d'eux pour la délivrance des Lieux-Saints.

L'histoire raconte en effet que, pour récompenser le courage du chevalier qui le premier mit le pied sur les remparts de Jérusalem, Godefroy de Bouillon traça de sa propre main et avec le sang du brave, une croix de gueules (5) sur son écu, encore tout martelé des coups qui l'avaient frappé(6).

Plus tard encore, sous Louis VII, un autre seigneur de Couzan prit le chemin de l'Orient où il alla soutenir l'éclat et la renommée de sa maison. Malheureusement, les renseignements contradictoires que j'ai recueillis sur ces deux seigneurs ne me permettent pas de vous donner leur nom d'une façon certaine.

Hugues Dalmas II, son petit-fils, fut un grand batailleur devant l'Eternel, toujours en guerre avec ses voisins, avec Hugues de Rochefort en particulier, qui partageait avec lui la seigneurie de Saint-Georges-en- Couzan.

En 1180, le comte Gui II, méditant de partir pour la 3e Croisade, fit construire le château de Cervières et conclut un contrat avec son feudataire, le sire de Rochefort, pour se garantir contre les entreprises du turbulent baron.

« Moi, seigneur de Rochefort et le comte et son fils, y est-il dit, avons fait cet accord, que si le seigneur de Couzan veut inquiéter l'un de nous, l'autre devra lui prêter aide et assistance. »

Hugues entra également en lutte avec Agnès de Maymont au sujet du château d'Olliergues, mais il mourut en 1190 avant d'avoir pu vider cette querelle.

Par son mariage avec Béatrix, fille unique et héritière de Robert III, vicomte de Châlon-sur-Saône et seigneur de Marcilly-en-Charolais, il avait singulièrement agrandi ses domaines.

Son fils, Hugues Dalmas III, lui succéda en 1190 et reprit sa querelle avec Agnès de Maymont. Le comte d'Auvergne, Robert V, les mit d'accord en 1195. Jusqu'à cette époque, le seigneur de Couzan n'a pas encore prêté l'hommage féodal à son suzerain le comte de Forez. Ce n'est qu'en 1209 qu'il s'inclina enfin et rendit hommage pour son château de Couzan et pour celui de Chalain d'Uzore.

Renaud Dalmas de Cosant fut le premier qui prit le nom de seigneur de Cosant. Vers 1227, il eut à soutenir un siège de la part du sire de Beaujeu qui exigeait de lui l'hommage féodal. Mais sur l'intervention du comte de Forez, le sire de Beaujeu dut se retirer et renoncer à toute prétention sur Couzan.

Renaud fit hommage au comte Gui IV pour son château et sa châtellenie, le mercredi après la Toussaint, 3 novembre 1227, et renouvela cet hommage en 1233, pour ses châteaux de Couzan, de Sauvain (7), d'Urbize (8) et de Chalain d'Uzore.

Il eut entre autres enfants Henri de Damas, bailli de Mâcon, Jean de Damas, évêque de la même ville, et Gui de Damas qui épousa Dauphine de Lavieu et qui lui succéda. 

Gui Ier de Couzan concéda vers 1250 aux habitants de Boën une charte de franchises, imitée de celle de Montbrison. GUI II mourut sans postérité vers 1273.

Renaud II continua la ligne directe des Damas-Couzan, tandis que Robert, son frère, devenu par héritage seigneur de Marcilly-en-Charolais, fonda la dynastie des Damas de Marcilly (9). 

Hugues IV succéda à Renaud II et mourut après 1310.

Amée ou Amédée de Couzan, fils de Hugues, fut le premier signataire d'une confédération conclue entre les nobles du Forez et ceux de Champagne, pour s'opposer à l'émission de la fausse monnaie et aux subventions arbitraires levées par Philippe-le-Bel.

Il obtint en 1320, du roi et du comte de Forez, l'autorisation de clore de murs la ville de Boën. Il mourut vers 1325, laissant pour héritier Hugues V qui, par son mariage avec Alix de la Perrière en 1343, acquit la moitié des seigneuries de Roanne et de Saint-Haon. Par une transaction en date du 2 juin 1327, Hugues de Couzan vide sa querelle avec Eustache, seigneur de Rochefort, au sujet de la justice sur un certain nombre de hameaux, parmi lesquels ceux de Lijay et du Pra, sur la rivière du même nom. Presque tout le territoire actuel de la commune est attribué au seigneur de Couzan.

En 1333, Hugues V Consent enfin à rendre hommage pour ses divers châteaux, mais non sans formuler cette restriction : « Salva legitate et fulelitate quibus primo tenetur domino regi Francorum », ou « sauf la fidélité due en premier lieu au seigneur roi de France. »

A la mort de Charles VI le Bel, les prétentions d'Edouard III à la couronne de France déchaînent la désastreuse guerre de Cent Ans qui devait mettre « grande pitié au royaume de France ». L'héritier du trône de Saint-Louis, réduit à n'être plus que « le petit roi de Bourges » adresse un suprême appel aux grands du royaume et les convie aux marches de Blois et de Touraine, pour repousser l'envahisseur.

GUI IV, n'écoutant que son patriotisme, lève aussitôt une petite armée, chevauche à travers nos provinces en deuil et rejoint à Bourges l'armée royale. Mais bientôt les Anglais paraissent devant la ville : les voilà même qui se répandent dans les faubourgs.

Déjà des flammes s'élèvent des premières maisons. Le salut et l'honneur réclament une sortie vigoureuse. En effet « il y eut, dit Froissart, grand escarmouche à l'une des portes ; et là furent bons chevaliers, de ceux de dedans, le sire de Cosant et messire Hutin de Vermeilles » (10). Enfin, « par maintes appertises d'armes, Bourges est délivré et voit s'éloigner les soldats de la fière Albion.

En 1359, Gui IV prend part à la campagne d'Auvergne pour prévenir les incursions des Anglais et couvrir le Forez. (voir ici un article publié à ce sujet sur notre site au niveau du Puy En Velay)

Nous le voyons sortir de son château de Couzan avec une suite, ou plutôt un corps d'armée, qui se composait de 4 chevaliers bannerets, 50 chevaliers simples ou bacheliers, 383 écuyers, 400 archers à cheval et de 800 sergents à pied, et rejoindre à Clermont l'armée royale.Malgré son courage il fut fait prisonnier, et pour payer sa rançon le roi dut verser 942 moutons d'or. 

En 1382, il mit sa vaillante épée au service du duc de Bourgogne et se battit à Rosebecque contre les Flamands révoltés.

Tant de vaillance lui avait attiré l'estime du roi au point qu'il reçut successivement de lui en 1385 le titre de grand échanson, en 1386 te titre de souverain maître d'hôtel, et en 1401 le titre de grand chambellan, avec 2.000 livres de pension. Il était devenu un personnage considérable, et nous savons même qu'il assista au conseil que le roi tint au Parlement le lundi 10 avril 1396.

Monseigneur de Couzan, comme on l'appelait, habitait presque continuellement à Paris, mais pour faire figure à la Cour, il fut obligé d'aliéner plusieurs de ses seigneuries.

Hugues VI, son fils et son successeur, fut échanson du roi. Il brisait les armes paternelles d'une fleur de lys au premier canton de la croix. Gui V, petit-fils de Gui IV, étant mort sans postérité, tous ses biens passèrent à leur sœur Alix de Couzan.

Cette illustre famille de Damas (11), que nous avons trouvée glorieuse et puissante dès la fin du XIe siècle, ne connut ni les infidélités de la fortune, ni la décrépitude d'une existence déjà longue. Elle disparut alors que sa gloire venait d'atteindre à son zénith, laissant aux familles qui suivirent une renommée de vertus chevaleresques bien lourde à soutenir…


Source fournie par Nano.M pour le plan: 

Dictionnaire des châteaux et des fortifications du moyen-âge en France, Charles-Laurent Salch, éditions Publitotal.


Index de renvois :

(1) Aidés de nos souvenirs, nous essayons de déchiffrer le langage héraldique de ce précieux document et nous constatons avec joie, sur le témoignage de la croix ancrée du 2e et du 3e quartier, que les seigneurs de Damas prirent une part active au grand mouvement des croisades.

Le lambel en chef du 1er et du 4e quartier nous Instruit qu'après l'extinction de la noble race des Damas, le château passa à la branche cadette des Lévis. Les besans, qui chargent chacun des trois pendants, signifient que des représentants de cette famille firent le pèlerinage de Terre Sainte. Les 3 chevrons brisés, symbolisant 3 membres brisés, nous laissent entendre qu'un Levis paya généreusement de sa personne dans quelque sanglante rencontre. L'écusson des Lavieu, posé en abîme, nous apprend enfin qu'une fille de cette illustre maison épousa un Lévis qui prit dès lors le double titre de seigneur de Couzan et de Lavieu.

(2) Auguste BERNARD, Histoire du Forez, chap. III.

(3) Cartulaire de Savigny, p. 884, De manso in molari.

(4) Il n'y eut tout d'abord que quatre baronniesdu Forez : Couzan, Cornillon, Ecotay, Saint-Priest, mais dans la suite ce nombre s'accrut considérablement.

(5) Le mot gueules vient de gui qui désignait la couleur rouge chez la plupart des Orientaux.

(6) Histoire du blason, EYSENBACK.

(7) Sauvain.— La seigneurie de Sauvain, d'abord unie pendant de longs siècles à la baronnie de Couzan, passa en 1657 des mains de Louis de Saint-Priest à celles de Jean de Luzy, dont un des héritiers, Louis de Luzy, la revendit en 1772 aux Mathon de Sauvain et de la Cour, qui le conservèrent jusqu'à la Révolution. Le château a été reconstruit depuis dans le style moderne. Il appartient aujourd'hui à M. Lépine, préfet de police à Paris. 

(8) Urbize.— Au-dessus du village, on remarque encore Un tertre circulaire en terre rapportée, de 6 à 7 mètres d'élévation, de 8 à 9 mètres de rayon et entouré d'un fossé. C'est tout ce qu'il reste de l'ancien château féodal dont le souvenir même s'est perdu depuis longtemps. Du haut de ce tertre, la vue s'étend à l'infini sur les verdoyantes prairies du Bourbonnais.

(9) La branche de Marcilly, la plus illustre de celles qui se détachèrent du vieux tronc des Damas, disparut en 1748 avec Antoine-François de Damas de Marcilly, Elle avait poussé A son tour de nobles rejetons, tels que les marquis de Thianges, les comtes de Chalancey. Du rameau de Thianges est sorti celui d'Anlezy et de celui-ci le rameau des Crux, qui nous a donné un duc et deux pairs de France. Mme la baronne de la Madeleine hérita de la seigneurie de Marcilly dont elle se défit au moment de l'émigration. Du vieux château féodal, il ne reste plus que la grosse tour et quelques murailles où se voit encore la croix ancrée des Damas. Ces augustes débris appartiennent aujourd'hui A M. le capitaine Marchai, du 106e d'Infanterie.

(10) Chroniques de Froissart, édition Buchon, 1824, t. III, p. 161.

(11) « L'humeur aventureuse dès Damas-Couzan, dit un historien forézien, persista jusque dans leurs derniers descendants, qui guerroyèrent partout. On retrouve dés Damas avec Lafayette en Amérique, et avec Louis XVI à Varennes, et avec Louis XVIII à Gand. Un Damas prit du service en Russie contre les Turcs, commanda la légion Mirabeau à l'armée de Condé et fit dans l'Etat de Naples une vaillante retraite. » Les nombreuses branches de la maison de Damas disparurent les unes après les autres dans un rayon de gloire. Une seule d'entre elles est venue jusqu'à nous. Elle est représentée par M. le comte de Damas de Cormaillon, qui par les comtes d’Anlezy, les marquis de Thianges et les seigneurs de Marcilly, se rattache à la brillante lignée des Damas-Couzan."


Posté le 18-04-2020 19:37 par Jimre

Vidéo de Couzan

Survol de la forteresse medievale de Couzan avec un drone.

N'hésitez pas à aller faire un tour dans notre playlist Rhône Médiéval pour voir nos autres vidéos ainsi que sur la playlist "Les Invités de Rhône Médiéval" pour voir des vidéos réalisées par d'autres personnes sur la même thématique...


Posté le 01-07-2019 21:31 par Jimre

Couzan

Abandonnées depuis plusieurs siècles, la forteresse médiévale de Couzan et la chapelle romane Saint-Saturnin ont été cédées à La Diana en 1931. Devant faire face à une situation critique, la société y entreprend alors d'urgents travaux de restauration et en assure la sauvegarde grâce à une souscription lancée auprès de ses membres. Perché sur son éperon rocheux, Couzan est sans doute l'exemple le plus saisissant de l'architecture militaire défensive du Forez médiéval. Fondée vraisemblablement au milieu du XIe siècle par les sires de Semur-en-Brionnais, la forteresse fut agrandie tout au long du Moyen Âge par leurs descendants les Damas.



Source:

- site guide-tourisme-france.com


Posté le 18-09-2016 16:44 par Jimre

Couzan

Le château domine la vallée du Lignon, non loin de Boën. Depuis la plaine du Forez, on peut l'apercevoir, posé sur son rocher.

Il est composé d'un donjon carré des XIe et XIIe siècles, d'une enceinte et d'un  donjon cylindrique du XIIIe. Enfin, une enceinte du XIVe siècle flanquée de tours rondes ferme le site.

A l'intérieur de la cour, on trouve des logis construits du XIVe au XVIe siècles.


Photos:

- Jimre (2007, 2014, 2016)

Posté le 14-05-2012 20:03 par Jimre