Le Puy en Velay
Un grand capitaine gascon du XIVe siècle
Concernant le Puy en Velay, voici un article rédigé par Nicolas Savy à propos de la Guerre de Cent Ans et des compagnies de routiers qui ont sévi dans la région du Velay. Merci à lui pour cet article 8;-)).
"La chevauchée de Robert Knoles en Auvergne
(mai-août 1359).
Par Nicolas Savy.
Durant
la première partie de la guerre de Cent Ans, de grands raids épiques, appelés
chevauchées, furent menés par les Anglais dans de nombreuses provinces du
royaume de France. Si celles dirigées par Edouard de Woodstock, dit le Prince
Noir et héritier d’Angleterre, en 1355 et 1356 sont restées fameuses, d’autres
au résultat moins heureux sont beaucoup moins connues. C’est le cas avec celle
que Robert Knoles opéra en Auvergne entre mai et août 1359.
Robert Knoles était un Anglais
originaire du Cheschire. Âgé de 34 ans, il faisait la guerre depuis de longues
années, ayant fait ses premières armes pendant la guerre de Succession de
Bretagne ; c’est dans le cadre de cette dernière qu’il avait notamment
participé, le 26 mars 1351, au célèbre combat des Trente, durant lequel il
avait été fait prisonnier. En 1355, il s’était emparé du château de l’Île d’Yeu
puis, l’année suivante, avait participé à la chevauchée que le duc de Lancastre
avait menée en Normandie.
Depuis
l’automne 1358, il se battait pour Charles d’Evreux qui, roi de Navarre et
cousin du roi de France, contestait le trône de ce dernier. Avec ses 2 à 3000
hommes, il s’était emparé de Châteauneuf-sur-Loire et avait ravagé toute la
région avant d’avancer vers l’est et de prendre Malicorne et
Corvol-l’Orgueilleux, non loin d’Auxerre. Là, il avait dû affronter les troupes
du routier Arnaud de Cervole, dit l’Archiprêtre qui, au service du royaume de
France, avait été envoyé pour le stopper ; il les avait non seulement
repoussées devant Malicorne, mais de plus son capitaine de la garnison de
Corvol-l’Orgueuilleux avait même réussi à capturer l’Archiprêtre. Il était ensuite
resté à pressurer le pays pendant plusieurs semaines avant de finalement
réussir à se saisir d’Auxerre ; il avait été armé chevalier à cette
occasion.
Robert
Knoles rejoignit Châteauneuf-sur-Loire vers la fin du mois d’avril 1359 afin de
mettre à exécution son projet de grande chevauchée en Auvergne. Voulant profiter
à fond des opportunités offertes par un royaume de France grandement affaibli
par la défaite de Poitiers de 1356 et ses conséquences, en proie à d’immenses
désordres et aux rivalités politiques internes, il comptait mettre sur pied une
forte armée capable de s’emparer d’objectifs importants et d’opérer sur une
large zone. Il lança ainsi un appel à tous les chefs de bandes qui combattaient
un peu partout afin qu’ils le rejoignent ; bientôt, 4000 hommes furent
rassemblés et prêts à se mettre en route. Parmi eux se trouvait le fameux Hugh
Calveley, un vieux compagnon d’armes de Knoles qui était venu le rejoindre pour
participer à cette prometteuse expédition.
Robert
Knoles donna l’ordre de marche à la mi-mai 1359. Son armée suivit la vallée de
la Loire en remontant vers l’amont avant de continuer, après Nevers, en
longeant celle de l’Allier. Ce mouvement avait naturellement été repéré par les
Français et le bâtard royal Thomas de la Marche, gouverneur de l’Auvergne,
était allé se poster avec ses troupes à Saint-Pourçain-sur-Sioule pour s’y
opposer ; manœuvrant pour ne pas se laisser ralentir, Robert Knoles avait
contourné le danger pour mieux aborder son objectif, la ville de
Pont-du-Château, une soixante de kilomètres plus au sud. Son action ayant certainement
été bien préparée, il s’en empara sans difficulté majeure et en fit son
quartier général.
Dans
les premiers jours de juin, l’armée de Robert Knolles fut rejointe par
Bertrucat d’Albret et ses Gascons, qui arrivaient du Quercy et du Bas-Limousin.
Les nouveaux venus avaient une autre manière de faire la guerre : ils
menaient une guérilla en opérant en petites compagnies pour s’emparer de
châteaux et rançonner les communautés locales en pillant et rapinant tout ce
qui passait à leur portée ; Knoles et ses Anglais, au contraire, voulaient
réaliser « un grand coup » en s’emparant d’une localité importante,
seul moyen pour obtenir des profits massifs et rapides. Ainsi, si les Gascons
se mirent immédiatement à l’œuvre en parcourant le pays en tous sens, les
Anglais restèrent à attendre une occasion favorable pour mener leur opération,
mais elle ne venait pas, les villes du secteur comme Clermont ou Montferrand étant
trop bien gardées.
Certains
Anglais s’impatientèrent assez rapidement et, dès le 17 juin, Hugh Calveley
quitta Pont-du-Château à la tête d’un millier d’hommes pour se diriger vers le
Velay. Robert Knoles et les autres capitaines s’entêtèrent mais, trois semaines
plus tard, ils apprirent que Thomas de la Marche allait bientôt être prêt à
marcher sur eux ; il avait avec lui, à Saint-Pourçain-sur-Sioule, 700
hommes d’armes à cheval, 2000 piétons et attendait encore les renforts que
devaient lui envoyer les communautés de la région. Face à ce danger et voyant
qu’il attendait inutilement, Robert Knoles décida d’abandonner les quelques
places qu’il avait prises et de disperser son armée en deux groupes pour mieux
échapper aux Français. L’un d’eux, mené par Jack Win et John Waldboef, fonça
vers le Forez et réussit à s’emparer de Montbrison ; le second, dirigé par
Robert Knoles, fit quant à lui route vers le sud et le Velay.
A
la mi-juillet, il arriva à proximité du Puy-en-Velay où il retrouva Hugh
Calveley, qui se préparait à prendre la ville ; ils décidèrent de mener
l’opération ensemble en unissant leurs forces. Après avoir correctement préparé
l’affaire, ils envoyèrent un « commando » de quelques hommes
s’emparer d’une porte à la faveur de la nuit ; l’action fut un succès et
ils purent l’ouvrir immédiatement au reste des troupes qui attendaient devant ;
elles s’engouffrèrent par le passage et se répandirent dans les rues et sur les
ouvrages fortifiés en annihilant toute résistance. Certains défenseurs tentèrent
malgré tout de s’opposer à l’inéluctable, mais ils furent taillés en pièces et
ceux qui parvinrent à fuir furent pourchassés et achevés ; certains se
tuèrent en sautant du haut des courtines pour essayer de s’échapper.
Les
routiers ne purent longtemps savourer leur réussite : Thomas de la Marche,
son armée à effectifs pleins, avait quitté Saint-Pourçain-sur-Sioule et marchait
à grandes journées pour les rejoindre. Il avait désormais un large avantage
numérique et, de toute façon, les Anglo-Gascons n’avaient rien à gagner à se
confronter à lui : ils décidèrent d’évacuer la ville et de partir immédiatement
pour mettre le plus de distance possible entre eux et leurs poursuivants. Ils
foncèrent alors vers le sud-est dans le but de rejoindre la vallée du Rhône et
la région d’Avignon, mais ils ne purent avancer plus de 70 ou 80 kilomètres car
une autre armée française, venue du Languedoc, avait rapidement fait mouvement et
s’était positionnée pour leur barrer la route.
Les
Français avaient bien manœuvré : privés de base et de ravitaillement au
milieu d’un pays hostile, leurs ennemis surclassés numériquement n’avaient
d’autre choix que celui de fuir. Pour mieux s’échapper, Robert Knoles et Hugh
calveley décidèrent d’à nouveau scinder leurs troupes. Ecœuré par son échec, le
premier se mit à la tête de la moitié des effectifs et partit en direction du
Limousin pour rejoindre la Bretagne ; le second, avec 900 hommes dont
étaient Bertrucat d’Albret et ses Gascons, fit le choix de revenir sur ses pas.
Mal lui en prit, car les Français montés du Languedoc décidèrent de le poursuivre.
L’armée
du Languedoc et celle de Thomas de la Marche firent leur jonction à proximité
du Puy-en-Velay, où ils rattrapèrent Hugh Calveley. Acculé, celui-ci installa
dans l’urgence ses hommes en position défensive sur une colline couverte de
vignes, tandis que les Français vinrent se positionner sur une autre éminence
séparée d’eux par 7 à 900 mètres de prairie. A l’exception de quelques
escarmouches, les deux camps passèrent la journée à s’observer.
Hugh
Calveley vit le soleil enfin décliner avec satisfaction. Sachant que les
Français, logiquement, allaient l’attaquer le lendemain et que, le rapport de
force étant par trop inégal, il aurait le dessous, il avait décidé d’essayer de
s’enfuir à la faveur de la nuit. Lorsque l’obscurité fut complète, après un long
crépuscule estival, ses Anglais et ses Gascons commencèrent à quitter leurs
positions dans un silence absolu. Au matin, les reconnaissances envoyées par
Thomas de la Marche ne purent que constater leur départ, mais il était trop
tard : la proie s’était éclipsée.
Conscients
que les Français pouvaient encore se lancer à leur poursuite, Hugh Calveley et
Bertrucat d’Albret se séparèrent rapidement afin de mieux leur échapper. Le
premier prit la direction du Berry tandis que le second rejoignit la
Haute-Auvergne pour y mener la guérilla qu’il affectionnait. Ainsi se terminait
la grande chevauchée sur laquelle Robert Knoles avait fondé de grands espoirs
mais qui, à l’exception de la prise du Puy-en-Velay, n’avait été qu’une suite
de déconvenues."
Source :
- SAVY (Nicolas), Bertrucat d’Albret, ou le destin d’un capitaine gascon du roi d’Angleterre pendant la guerre de Cent Ans, Pradines, Archeodrom, 2015, pp.82-92.
- Plan du Puy fourni par Nano.M d'après Dictionnaire des châteaux et fortifications du moyen âge en France, Charles-Laurent Salch, éditions Publitotal.
Photos:
- Jimre (2012, 2017, 2018)
Posté le 11-01-2016 18:54 par Jimre