Arginy
ARGINY
Lorsqu'un article est très bien fait, point n'est besoin d'en rajouter. Nous vous proposons donc pour Arginy un article de Marie-Pierre FEUILLET paru en 1996 dans les Pages d'Archéologie Médiévale en Rhône-Alpes.
Bonne lecture 8;-))
"LE CHÂTEAU D'ARGINY (RHÔNE), PREMIER BILAN ARCHÉOLOGIQUE
Le château d'Arginy se trouve au cœur du Beaujolais, dans la commune de Charentay, au nord du département du Rhône. Il se dresse dans la plaine alluviale de la Saône, à six kilomètres au sud-ouest de Belleville, la ville neuve fondée par Humbert III de Beaujeu vers 1160.
Isolé dans la campagne, à un kilomètre du village, le château est construit à proximité du ruisseau du Sancillon, dans une zone d'alluvions limoneuses récentes produites par ce cours d'eau. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, s'étendait au sud du site une forêt de plus de 38 hectares. Elle pourrait avoir fourni le bois utilisé pour la construction du château.
Dans son état actuel, il offre au visiteur l'indéniable charme esthétique d'une ruine médiévale, romantique et pimentée de mystère. Si la basse-cour est en bon état de conservation en raison de l'activité agricole qui y perdure, en revanche les bâtiments castraux qui s'élèvent encore sur le terre-plein principal sont très dégradés. Le château a particulièrement souffert d'un grave manque d'entretien à deux reprises: dans la période qui suivit la Révolution et, plus récemment, lorsqu’il fut au centre d'une agitation néo-templière qui défraya la chronique. En effet, au début des années cinquante, se fondant sur un texte invraisemblable du XVIIIe siècle et une succession de sophismes historiques, un occultiste, Jacques Breyer, identifia Arginy comme le lieu de dépôt du trésor alchimique des Templiers. Cette réputation suscita (et encore aujourd'hui) une abondante littérature, attirant sur le site radiesthésistes, chercheurs de trésors et sociétés ésotériques de tout poil. Tandis que s'écroulaient les toitures et se lézardaient les murs du château, de multiples sondages étaient réalisés sous l'égide du propriétaire des lieux, particulièrement en 1953 et 1973. Le témoignage le plus spectaculaire de cette période restera un puits bétonné de 12 mètres de profondeur, creusé au fond du donjon. Ces recherches ont également précipité l'abandon par les fermiers du logis seigneurial. Le château a été inscrit à l'inventaire supplémentaires des monuments historiques en 1974 et il bénéficie depuis les années quatre-vingt de travaux de mise hors d'eau, effectués par son propriétaire.
Avant le début, en 1990, de son étude archéologique dans le cadre du Projet Collectif de Recherche "Châteaux médiévaux en Rhône-Alpes", le site d'Arginy n'avait fait l'objet que de quelques recherches d'histoire locale, essentiellement destinées à établir la liste de ses possesseurs successifs. La première intervention de terrain a été consacrée à la topographie générale du site et au relevé complet du donjon (plans, coupe, élévation extérieure), réalisés par le géomètre Michel Chinai. Le laboratoire Archéolabs a ensuite effectué plusieurs campagnes d'analyses dendrochronologiques afin de dater les différents bâtiments. En novembre 1995, une intervention d'urgence conduite par le Service Régional de l'Archéologie au sud-ouest de la plate-forme principale a permis de recueillir de premiers éléments de stratigraphie. Il est donc aujourd'hui possible de présenter un premier bilan des connaissances acquises et des hypothèses de travail à développer.
L'histoire du site
Le cartulaire de l'abbaye de Savigny contient une charte des environs de 960 par laquelle un certain Géraud donne deux vignes et un curtil situés dans la villa d'Aginiacus, ager de Feurs, pagus de Lyon. Les autres biens mentionnés se trouvent dans le comté de Mâcon. Il n'est pas impossible qu'il s'agisse d'Arginy, les limites citées étant très floues et l'expansion du Beaujolais ayant eu lieu au détriment des possessions foréziennes.
La première mention certaine d'Arginy figure dans le cartulaire de Notre-Dame de Beaujeu. Cette collégiale a été fondée dans son château de Pierre-Aiguë par le premier sire de Beaujeu connu, Bérard (mort vers 967). Appelé plus tard Beaujeu, ce château contrôle la vallée de l'Ardières et la route de la Saône au Charollais qui l'emprunte. Il n'est éloigné que d'une huitaine de kilomètres de l'ancien chef-lieu carolingien du Tourvéon, établi dans un site fortifié de l'Âge du Fer.
Dans une charte de la dernière décennie du Xe siècle, Humbert Ier rappelle les donations de ses parents, Bérard et Wandalmode, dont l'église Saint-Martin de Charentay. La charte n° 4 du cartulaire de Beaujeu est une notice de la deuxième moitié du XIe siècle qui rappelle également les donations de Bérard et Wandalmode. Elle mentionne un curtil qui a été donné "quoiqu'injustement" par l'archiprêtre Étienne à Josmard d'Arginy. Plus loin, il est question d'un autre curtil qui a été donné par les frères Josmard et Bérard. Ce texte semble attester l'existence d'un lignage portant le nom d'Arginy qu'aucun élément ne permet d'apparenter à la famille de Beaujeu.
Les sources écrites sont ensuite muettes jusqu'au XIVe siècle. Une ordonnance de 1351-1359 de la tutrice d'Antoine de Beaujeu sur l'administration de la justice dans la principauté fixe l'effectif du personnel seigneurial beaujolais à "Argigne" : un prévôt, son "chacippol" et deux sergents. Ce document prouve l'existence à cette date d'un mandement d'Arginy appartenant aux sires de Beaujeu. Ce mandement aurait-il été aliéné ensuite, puisqu'on le retrouve entre les mains de la famille de Verneys ?
Les origines de cette famille sont difficiles à établir, s'agissant d'un nom très courant (verna signifie aulne). Une paroisse du haut Beaujolais, au pied du mont Tourvéon, porte le nom de Vernay, sans que l'on puisse établir de rapport avec les Verneys. Ce lignage a été souvent confondu avec d'autres Vernet. André Steyert distingue bien les Vernet de Montbrison et les Verneys, seigneurs d'Arginy et de la Farge (à Propières, Rhône), deux familles différentes, sans lien entre elles.
Les Verneys d'Arginy sont certainement de souche beaujolaise. C'est ce que semble confirmer C. Le Laboureur qui, parlant en 1665 d'un mariage ayant eu lieu en 1344, qualifie les Verneys de "bonne et ancienne maison du Beaujolais". Le cartulaire de l'abbaye de Savigny mentionne quatre personnages portant le nom de Vernet. Un traité de paix entre l'abbé Dalmace (1060-1082) et Faucon d'Oingt mentionne le préjudice causé à l'abbaye par la capture du chevalier de Vernet qui était à son service quand il fut pris. Une donation de la même période mentionne un Étienne de Vernet possessionné à Amplepuis. En 1173 (?), Umbert de Verney, prévôt de Nuelles, est témoin avec Hugues de Verney de la charte 946 de Savigny. Il est également cité en 1197. Des fragments de l'obituaire de la collégiale de Beaujeu mentionnent plusieurs Verney dont un Bérard et un Hugues qui pourraient remonter au XIe siècle. L'obituaire du chapitre lyonnais de Saint-Paul mentionne également un Hugues de Verney, mort à la fin du XIIe siècle, qui a contribué à l'achat de terres appartenant à Aymon d'Oingt. Enfin, un Pierre du Vernay est témoin pour le sire de Beaujeu de la charte de franchise de Villefranche en 1260.
Autrefois se trouvait aux Cordeliers de Villefranche-sur-Saône une pierre tombale gravée aux armes des Verneys (d'hermines au chef de gueules) et mentionnant les sépultures du chevalier Jean de Verneys, de sa femme, de son fils Jean, le commanditaire du tombeau, et de ses sœurs Roche et Guicharda, décédées en mars 1346. Deux testaments et un codicille des seigneurs d'Arginy sont publiés. Ils nous fournissent des éléments précis sur le site et la généalogie ainsi que l'environnement social de la famille. Le chevalier Guichard du Verneys, qui a succédé à son père Jean, teste le 27 décembre 1365 en faveur de son fils aîné Guichard. Il lègue à son fils cadet Pierre la maison-forte du Pin à Morancé qu'il a héritée de Jean de la Chana en 1343. Il élit sépulture dans l'église des Cordeliers de Villefranche où il fait élever une chapelle. Ce texte mentionne le mandement d'Arginy. Guichard rédige à son tour un testament le 14 juin 1422. Il possède la maison-forte de Liergues, qu'il lègue à un neveu, et les seigneuries de Dardy (Saône-et-Loire) et Cruysel (Croizet-sur-Gand, Loire ou Cruzilles-lès-Mépillat, Saône-et-Loire). Cet acte est rédigé au château d'Arginy, "près du petit pont du lieu". Guichard survivra jusqu'en 1455. Le 27 novembre de cette année, mourant, il modifie son testament : son fils aîné est décédé et il substitue comme héritier son petit-fils Thomas à son autre petit-fils Guichard comme prévu trente-trois ans plus tôt. Ce nouvel acte est passé "dans la salle du château". Le décès de Guichard eut lieu le jour même puisque Thomas du Verneys, faisant hommage de sa maison-forte du Pin à l'église de Lyon ce jour-là, est qualifié de "seigneur d'Arginy".
Thomas n'ayant pas de fils, il lègue ses biens à son parent Thomas de la Bussière qui apparaît en tant que seigneur d'Arginy dans un document de 1485. En 1537, la seigneurie est acquise par deux frères, Claude et Pierre de Vinols (ou Vignolles), issus d'une famille bourgeoise de Lyon qui a fourni plusieurs échevins à la cité. Peu de temps après, en 1539, les Vinols agrandissent le ressort de la seigneurie, jusque-là limité à la paroisse de Charentay et au mas de Bussy, en achetant la juridiction des hameaux de Chaffray, Gandoger et Delphingues à Saint-Georges-de-Reneins.
Antoinette de Vinols, fille d'Antoine de Vinols (échevin de Lyon en 1520, un troisième frère ou le père des précédents (?), hérite plus tard d'Arginy. Elle est depuis 1520 l'épouse de Jean Camus. Cet épicier, dont la famille originaire de Bourgogne (Auxonne) s'est établie à Lyon au début du XVIe siècle, est un notable fortuné. Il est échevin de Lyon en 1523, 1524, 1534 et 1535 (ce qui lui vaut d'entrer dans la noblesse) et secrétaire du roi en 1549. En 1543, il est engagiste de trois seigneuries foréziennes. En 1566, il achète les châteaux de Bagnols et Châtillon d'Azergues (Rhône), puis en 1567 celui de Feugerolles (Loire). Il meurt en 1568. Sa carrière illustre parfaitement l'ascension sociale de la bourgeoisie d'affaire, fondée sur une puissance financière, à laquelle assiste, malgré elle, la noblesse d'origine médiévale. Il fallut attendre 1544 pour que le Parlement accepte d'enregistrer l'édit de 1495 (ou 96) de Charles VIII anoblissant les échevins de Lyon. Claude de Camus, son fils est trésorier général de France. A sa mort en 1587, les trois fils de Claude se partagent les châteaux familiaux : Bagnols revient à Charles, Châtillon d'Azergues à Gaspard, et Arginy à Antoine. Ce dernier, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, accueille une médiation dans son "chastel" en 1607. Charles de Camus, seigneur d'Arginy en 1652 est bailli de Beaujolais. Il obtient du roi Louis XIII la création d'un comté d'Arginy. Il meurt entre 1682 et 1684. Son fils, Joseph, vend le château en 1741 à son cousin Joseph-Henry, comte de Montspey.
En 1789, la seigneurie est entre les mains de Louis-Alexandre-Élysée de Monspey. Il fait une brillante carrière militaire et politique. Il préside l'assemblée du Lyonnais, Forez et Beaujolais réunie pour la création du futur département de Rhône-et-Loire. Il est ensuite député aux États Généraux. II émigre plus tard et ses biens sont confisqués en 1796. À son retour sous la Restauration, il récupère Arginy mais retourne vivre dans son château familial de Vallière où il décède en 1822. À la fin du XIXe siècle, le domaine d'Arginy est vendu à la famille de Chambrun d'Uxeloup, comtes de Rose-mont. Par héritage, il est actuellement propriété de la famille Guary.
L'état actuel du site
Le site d'Arginy comprend aujourd'hui deux plates-formes fossoyées juxtaposées. La première est une basse-cour ; elle est encore habitée. La seconde porte les bâtiments principaux du château. De plan quadrangulaire, le château était flanqué de quatre tours d'angle dont le donjon, placé à l'angle nord-ouest de l'enceinte. Deux tours sont encore en élévation,- la quatrième semble avoir disparu au XIXe siècle. Le logis seigneurial est adossé à la courtine nord. Les logis qui s'appuyaient sur les murailles à l'est et à l'ouest ont été rectangulaire, à linteaux de chêne, donnant sur la cour.
Une échelle permettait d'accéder au couronnement du donjon, seul étage sensiblement remanié à l'époque moderne. De l'état du XIIIe siècle ne subsiste intact que le plancher, formé de la juxtaposition de 19 poutres de chêne qui assure une résistance aux éventuels projectiles. Ce type de plancher se rencontre au premier étage de plusieurs donjons de cette période où ils jouent plutôt un rôle statique, comme à Bressieux (1277, Isère) ou au Pin à Morancé (1312, Rhône). Le donjon d'Arginy n'a jamais eu de hourd. L'étage supérieur est marqué extérieurement par une frise de briques en relief évoquant des mâchicoulis. Ce décor, très courant dans les tours de briques, se rencontre également à Bressieux, en 1277, au Montellier (Ain), et à Ambérieux-en-Dombes (1371, Ain). Le sommet du mur était percé de huit créneaux et muni de deux assommoirs en encorbellement, portés par des poutres de bois, dont l'un se trouve à la verticale des portes du donjon. Les créneaux devaient pouvoir être obturés par des volets puisqu'une fente d'éclairage a été ménagée dans un merlon. La toiture d'origine devait avoir une pente plus faible que l'actuelle, conformément aux traditions de la région. En 1572, pendant les Guerres de Religion, le sommet du donjon est réaménagé, en fonction de l'évolution de l'armement, pour répondre à l'insécurité récurrente. L'intérieur de l'étage est chemisé par un parement maçonné de calcaire, profond de 52 cm, qui porte à 1 m l'épaisseur de la muraille. Les assommoirs sont supprimés et une alternance de quatre fenêtres et de quatre meurtrières en "pierre dorée" (calcaire bajocien) est aménagée dans les anciens créneaux. Les pierres de taille portent des signes lapidaires de pose. Les meurtrières, qui diffèrent toutes dans leurs mensurations, sont de simples fentes verticales de 40 à 48 cm.
La datation
Le donjon a fait l'objet de deux campagnes dendrochronologiques. Les douze échantillons prélevés en 1990 sur le plancher du dernier étage et les deux échantillons pris sur les poutres du sol du troisième étage appartiennent à une même phase d'abattage, au cours de l'automne ou de l'hiver 1295-1296. En 1995, dans des conditions périlleuses, sept échantillons ont été recueillis sur la charpente de la toiture (entraits, goussets et coyers). Ils proviennent d'arbres abattus au cours de l'automne-hiver 1571-1572.
Le donjon d'Arginy présente un certain nombre de caractères "évolués" pour la fin du XIIIe siècle : le système d'isolation du rez-de-chaussée, la porte donnant sur la cour, l'absence de hourd et, surtout, la distinction entre étages "de service", de plan circulaire, et pièces habitables, octogonales. En revanche, l'utilisation d'un escalier rampant et d'échelles ainsi que l'absence de grandes archères tempèrent l'impression de modernité relative que donne l'édifice. Les fonctions résidentielles, défensives et symboliques sont intimement mêlées et aucune ne l'emporte sur les autres : ce donjon est exemplaire dans le traitement du compromis que devait résoudre le concepteur d'un tel ouvrage.
Le château de briques médiéval
Dans l'état actuel du site, il est impossible de définir le plan" général du château de briques médiéval. Des courtines ne subsistent, en élévation, qu'un segment "piégé" dans les maçonneries modernes de la tour sud-est et une partie de la façade arrière du logis principal. La trace de trois petites fenêtres en plein cintre dans ce mur, épais de 92 cm, semble attester la présence du logis seigneurial au même emplacement dès le XIIIe siècle. Les fouilles de 1995 ont permis de reconnaître la partie ouest de l'enceinte du château. Elle ne présente pas, comme on l'attendrait, un tracé rectiligne : deux pans de muraille, large de 69 centimètres, forment un angle de 15 grades. Le château de la fin du XIIIe siècle pourrait donc bien avoir un plan polygonal irrégulier, flanqué ou non, comme le château de Bressieux. L'existence d'une basse-cour à cette période est incertaine. La provenance des briques utilisées est encore inconnue, détruits avant les relevés du plan cadastral "napoléonien" et les caves de l'aile orientale murées en 1922. La toiture de la tour sud-est s'est effondrée après 1974. Les traces de divers aménagements agricoles subsistent çà et là. L'ancienne pompe à eau utilise le puits du château. Des tours de la deuxième enceinte, trois subsistent : la tour nord-est est intacte, mais en mauvais état, la tour nord-ouest est restaurée et provisoirement couverte, et la tour sud-est, aménagée en four à pain, s'effondre depuis qu'elle a été décoiffée, en 1973, au cours d'un chantier associatif de "restauration". Du chemin qui menait au pont-levis principal, aboli avant le début du XIXe siècle, ne subsistent que des traces phytologiques ; l'accès actuel se fait par le pont-levis de la basse-cour.
Le donjon de la fin du XIIIe siècle
Le donjon est l'élément le plus ancien et le mieux conservé du château de la fin du XIIIe siècle. C'est une grande tour de brique, cylindrique et haute de 18 m pour un diamètre externe de 7,50 m. Elle comporte cinq niveaux : une basse-fosse en rez-de-chaussée, une salle principale, deux étages logeables et, au sommet, un étage de défense. Les murs d'élévation sont épais de 2,60 m en moyenne, mais le parapet du dernier étage n'est large que de 0,48 m.
Malgré l'ampleur des fouilles clandestines des années cinquante, qui ont vidé la partie inférieure du donjon plus de 2,50 m sous le niveau médiéval, il est encore possible d'observer un système ingénieux d'assainissement, sans équivalent connu dans la région.
La base du donjon est conçue de manière à pallier les remontées d'humidité, déjà combattues par l'existence de fondation en maçonnerie de moellons de calcaire. Un vide sanitaire, haut de 1,45 m, est ménagé sous le plancher de la basse-fosse. Son volume de 25 m3 est ventilé par un conduit d'aération vertical, en baïonnette, qui débouche à l'extérieur 2 m plus haut environ.
La basse-fosse est une pièce cylindrique, sur plancher, d'un diamètre intérieur de 4,85 m. Elle est voûtée en calotte aplatie et éclairée par une petite fenêtre. Dès l'origine, sa porte ouvre sur la cour. La salle du premier étage possède son propre accès, sans doute par un ouvrage de bois dont des restaurations récentes ne permettent plus de lire les traces. Comme les deux étages suivants, elle est de plan octogonal. Elle était éclairée par trois fenêtres, dont ensuite l'une a été agrandie et une autre bouchée. L'épais enduit granuleux qui la recouvre ne permet pas de déterminer si la cheminée actuelle est bien celle d'origine ou non, mais on distingue, de part et d'autre, les traces de deux tablettes latérales en calcaire. Des traces de peintures modernes (faux-appareil), antérieures à l'enduit général gris sont encore visibles par endroit. Ce premier étage est couvert par une voûte d'arêtes octopartite. Pris dans l'épaisseur du mur, un étroit escalier droit mène au deuxième étage.
Le deuxième étage comportait trois ouvertures. Deux fenêtres à encadrement extérieur en pierre de taille blanche donnent sur le sud-ouest et le sud-est. La dernière a été modifiée par deux fois en porte menant vers le logis. L'ouverture nord est une simple fente de jour fortement ébrasée. Il ne semble pas qu'il s'agisse d'une meurtrière : elle ne peut être utilisée qu'avec une petite arbalète. Le sol actuel de l'étage a été surélevé d'environ 50 cm par rapport à celui de 1296, sans doute pour correspondre à celui du logis.
L'étage est traversé par le conduit en saillie de la cheminée du premier étage. Ce niveau permet quelques remarques sur les techniques de construction employées par les maçons médiévaux : ils ont utilisé des échafaudages différents pour l'intérieur et l'extérieur. Les joints de mortier entre les briques sont simplement lissés à la truelle et la pièce n'a jamais reçu d'enduit. Les dessins au charbon de bois visibles sur les murs ont été réalisés pour les cérémonies occultes des années cinquante.
Du plancher du troisième étage ne subsiste que le poutrage. Lors de travaux de réfection, peut-être au XVIe siècle, il a été démonté. La plupart des pièces initiales, à chanfrein et congés, ont été réutilisées, mais dans le désordre. Cette salle est éclairée par une petite fenêtre toutefois la prospection des terrains situés immédiatement au nord-est du site, où sont signalées des zones de concentration de briques et de tuiles en surface, pourrait peut-être fournir une réponse.
Les fouilles de 1995
Réalisées dans le cadre d'un sauvetage urgent, les premières observations stratigraphiques sont assez limitées puisqu'elles portent sur un secteur très remanié. Les maçonneries sont arasées au niveau du sol actuel, mais le terrain est bouleversé sur les 60 premiers centimètres de profondeur par l'occupation agricole (les bâtiments seigneuriaux ont été abandonnés depuis une trentaine d'année seulement par les fermiers qui habitent aujourd'hui dans la basse-cour) et les chercheurs de trésor. Les 20 centimètres suivant correspondent à des travaux modernes. Ce sont des couches de travail recouvertes par une démolition. Les gravats sont en bonne partie composés de débris d'enduit peint portant des motifs végétaux. Ils contenaient un liard de Gaston des Dombes (1629-1655). Les analyses des poutres du logis et de la tour sud-est attestent des campagnes de rénovation importantes en 1656 et 1722, mais aucun élément ne permet actuellement de préciser la date exacte des travaux identifiés dans les fouilles; les connexions stratigraphiques avec les murs ayant été détruites. Dans le secteur étudié, ces aménagements modernes ont détruit toutes les traces de l'occupation médiévale du château.
Le château de briques est construit sur des fondations en moellons de calcaire établies dans une plate-forme de limon rapporté. Deux forages à la tarière manuelle à travers ce remblai homogène, épais d'environ 1,40 m, attestent la présence d'une couche sous-jacente composée à 80 % de déchets de mortier pris dans une matrice limoneuse, semblant correspondre à une phase de destruction. Le terre-plein semble avoir été toujours instable, et la courtine de brique présente un déversement, précoce, de 11 % vers le fossé. L'angle des deux pans ouest est largement fissuré. Le danger d'éboulement a peut-être contribué à l'élargissement de la plate-forme au XVIIe siècle. Il est aujourd'hui omniprésent à cet endroit, aggravé par la dégradation du mur de soutènement moderne et les excavations des chercheurs du trésor.
L'angle sud-ouest du château présente de nombreux remaniements. La courtine de brique s'interrompt brutalement à 2,50 m de l'angle. Elle a été remplacée par un mur de pierre qui s'appuie lui-même sur l'angle d'un bâtiment se développant au sud. Ce bâtiment est enduit de blanc à l'extérieur. Son mur ouest fut ensuite doublé, peut-être pour l'empêcher de verser. Parmi les remaniements les plus récents figurent la construction d'un escalier, dans l'angle des murs ouest et sud.
À l'extérieur du château de briques, un corps de logis comprenant un étage et des combles en appentis s'adosse à la muraille. Cette élévation peut être restituée à partir des traces d'ancrage qu'il a laissées sur le donjon. Un mur de refend a encore conservé au rez-de-chaussée un enduit intérieur peint en blanc, semblable à l'enduit extérieur blanc cité plus haut. La conduite actuellement dégagée servait d'évacuation à des latrines. Il est encore difficile de rattacher la construction de ce logis moderne à une campagne de travaux précise.
Les remaniements du château de briques
Peu d'éléments subsistent des modifications subies par le château de briques avant la restructuration du XVIIe siècle. Une poutre de la charpente effondrée de la tour sud-est provient d'un arbre abattu au cours de l'été 1454. L'extrémité orientale de la façade nord présente un appareil de moellons de calcaire dont le chaînage appareillé s'appuie sur le mur de briques. Cette maçonnerie est percée d'une haute et étroite fenêtre en tiers-point, pouvant évoquer un oratoire des XIVe-XVe siècles. Pendant les Guerres de Religion, les travaux semblent se limiter à des adaptations du système défensif et à une réfection du plafond de l'étage du logis. En revanche, au XVIIe siècle, le château est presque entièrement reconstruit, en pierre, afin de répondre à deux nouveaux impératifs : l'usage des armes à feu et, surtout, les nouveaux critères de, confort de l'habitat aristocratique. A cette époque, les fonctions résidentielles et domaniales sont dévolues à des espaces différents, par la création d'une basse-cour.
La basse-cour
Le site d'Arginy se compose alors de deux plates-formes quadrangulaires fossoyées. Les fossés, larges de 4 à 10 mètres, sont alimentés en eau par un système d'écluse les reliant au Sancillon. La basse-cour, d'une superficie de 800 m2, était close de murailles sur les trois côtés exposés. La façade principale, vers l'est, est flanquée de deux tours cylindriques. Une tour-porche barlongue, placée en son milieu, commande un pont-levis à flèches dont la poutre de manœuvre est encore en place. Cette entrée monumentale est défendue par une bretèche. Elle est décorée d'un blason aux armes écartelées des familles Vinols et Camus, assez détérioré. La bretèche, les tours et les courtines sont percées d'arquebusières "en trou de serrure".
Des bâtiments d'exploitation s'adossent à l'enceinte sur les trois côtés. De part et d'autre de l'entrée, deux corps de bâtiment symétriques comportent un niveau de caves serai-enterrées voûtées en berceau et un étage (au nord ne subsistent que les caves, comblées). L'aile sud abrite des dépendances agricoles. L'aile nord a disparu. Un pont dormant, suivi d'un pont-levis, permet de franchir les sept mètres du fossé isolant le château proprement dit de sa basse-cour.
Le château du XVIIe siècle
Le fossé médiéval devait jouxter l'enceinte du château de briques. À l'époque moderne, l'escarpe est repoussée de 4 à 5 m vers l'extérieur pour établir une fausse-braie, flanquée d'une petite tour cylindrique à chaque angle de la plate-forme. Chacune de ces tours, dont la base est bastionnée et talutée, ne possède qu'une pièce de tir desservant deux paires d'arquebusières qui prennent le fossé en enfilade. Une fenêtre éclaire et aère la pièce. La tour nord-est se distingue par la présence d'une cheminée. Elle devait servir de salle de garde rudimentaire.
L'accès principal du château se trouvait au sud. Il n'a pas été encore étudié. Son plan pourrait, à la rigueur, évoquer un petit châtelet d'entrée.
Les bâtiments centraux du château, réorganisés, forment un quadrilatère d'environ 600 m2, flanqué de quatre tours d'angle (dont le donjon médiéval, conservé). Des trois corps de logis encadrant alors la cour ne subsiste aujourd'hui que le principal. Il se compose d'un rez-de-chaussée, d'un étage éclairé par de grandes fenêtres à meneaux, et d'un étage de combles. Il subsiste des traces d'une galerie de plain-pied autour de la cour. La façade nord, bien conservée, présente une ordonnance régulière. Un enduit épais la recouvre encore partiellement. Les encadrements des ouvertures sont à arêtes vives, sans aucun décor. Les deux tours encore étudiables sont dotées de meurtrières pour de petites bouches à feu.
La restructuration de 1626
Il n'est pas encore tout à fait sûr que le remodelage des fossés et la construction des fausses-braies soient une création de cette période, mais la basse-cour et la plus grande partie des bâtiments ont été édifiées de manière certaine autour de 1626. Cette date est celle qu'une observation rapprochée a permis de lire au bas du blason de l'entrée. C'est également l'année de construction de la tour-porche. L'analyse dendrochronologique a démontré que la toiture de la petite tour nord-est et la tour-porche sont contemporaines et qu'à cette campagne de travaux appartiennent également une solive de la tour sud-est et des réfections du plafond de la salle principale du logis seigneurial.
Il faut souligner les principaux caractères extérieurs d'homogénéité de cet ensemble castral : toitures en forte pente, d'influence bourguignonne, régularité de l'ordonnance des façades et uniformité des fenêtres et des meurtrières. La tour-porche présente un assemblage étonnant entre une façade extérieure d'apparence médiévale, avec son pont-levis obsolète, et une façade sur cour tout à fait classique. L'allure générale du monument, hérissé de tours, évoque d'abord le Moyen Âge. Antoine de Camus, commanditaire des travaux, est issu d'une famille de noblesse récente. Ce style archaïsant adopté pour sa nouvelle demeure et la conservation du donjon du XIIIe siècle paraissent autant de traces d'une recherche d'intégration dans la tradition nobiliaire locale.
Une étude plus large des édifices du Beaujolais et du Lyonnais formellement similaires au château d'Arginy réserverait sans doute quelques surprises. Beaucoup de monuments attribués actuellement aux XIVe-XVe siècles pourraient s'avérer beaucoup plus tardifs, témoignant d'un attachement prolongé aux morphologies castrales traditionnelles.
À Arginy même, les principaux états du château sont à présent identifiés mais un certain nombre de relevés et de recherches complémentaires restent à effectuer pour conclure l'étude du bâti conservé. De nombreux documents d'archives sont encore à consulter. Cependant, le potentiel scientifique le plus précieux du site se trouve scellé par le remblai d'argile du château du XIIIe siècle. Le cadre étroit du sauvetage n'a pas permis de vérifier la conservation de vestiges antérieurs à 1296, mais il a attesté leur existence. Il y a de bonnes raisons d'espérer trouver ici des éléments singuliers d'interprétation de la genèse d'un site castral.
Marie-Pierre FEUILLET
Source:
- Article paru dans « Pages d'Archéologie Médiévale en Rhône-Alpes » III-1996"
Fichier au format pdf disponible sur le site de la mairie de Charentay
Photos:
- Jimre (2011, 2015, 2021)
Posté le 16-11-2011 13:43 par Jimre