Carpentras
Carpentras
Carpentras se situe à vingt-cinq kilomètres d'Avignon, sur les rives de l’Auzon. Depuis les promenades qui dominent ses rives, on a une très belle vue. Sur les photos publiées, on peut apercevoir le village du Barroux avec son château. La ville serait d’origine celtique, comme l’indique son vieux nom de Carpentoracte. Pline en fait le chef-lieu des Memini, une des tribus cavares. Elle se situe sur le chemin des Alpes cottiennes, au pied de la chaine du Ventoux. L’an 27 avant l’ère chrétienne, des colons civils et militaires s'installèrent, par ordre d’Auguste, à Carpentoracte, qui ajouta son nom à celui de Julia et compta parmi les villes latines.
A l’époque des invasions, Carpentras passe sous domination ostrogothique et se confond dans le comté d’Avignon, cité plus puissante dont elle partagea et suivit les destinées. A l’époque féodale, il n’est fait mention nulle part des comtes ou vicomtes de Carpentras, Carpentras étant trop proche d’Avignon pour que les comtes de cette cité, jaloux de leur autorité, ne supportent une telle concurrence. Il est plus probable que l’évêque, représentant de bonne heure du pouvoir comtal, concentra d’une main ferme le pouvoir temporel qui lui avait été conféré par l’arrière-petit-fils de Charlemagne. En 857, en effet, Charles, roi de Provence, donne à Jean, évêque de Carpentras, celle de Saint Antoine, avec tous les droits du fisc, depuis la rivière Auzon jusqu’à la Nesque.
Cet ordre des choses perdura jusqu’à ce que le marquisat de Provence ne soit passé dans la maison de Toulouse. Les comtes de Toulouse furent souvent en conflit territoriaux avec les autres seigneurs laiques ou religieux. En Provence, Raymond V, petit-fils de Raymond de Saint Gilles, commença l’attaque. Après les évêques d’Auvergne vint le tour des évêques du Comtat. Raymond V reconnut la moitié de la souveraineté des évêques sur Carpentras, pour mieux signifier sa suzeraineté sur l’autre moitié…
Pour enrober la chose, Raymond, dans une charte de 1155, promit à l’évêque de lui faire rendre la leude, ou péage que les gens de Monteux avaient usurpé sur son église, suivant le serment que les témoins avaient prêté à la cour du Comte Alphonse son père. Il déclara aussi qu’il ne permettrait à personne d’élever une tour à Carpentras sans le consentement de l’évêque et il stipula principalement en faveur du marché qui se tenait dans cette ville depuis des temps immémoriaux.
Il parait que l’évêque fut de meilleure composition ou plus prudent que celui de Vaison; car la même année où Raymond V chassa de son siège Béranger de Mornas, nous le voyons en 1159, rendre à l’évêque Raymond de Carpentras, tant en son nom qu’en celui de son frère Alphonse les châteaux de Vénasque, du Beaucet, de Mallemort, de Saint Didier et de Saint Felix, moyennant le paiement de 2000 sols melgoriens de nouvelle monnaie. Il ne retient sur ces domaines que les droits d’albergue et de chevauchée. Cette cession fut confirmée 3 jours après au château de Pernes. D’où venait au comte de Toulouse cette partie du temporel de l’évêque ? S’en était-il emparé de 1155 à 1159 ? Quoiqu’il en soit la paix ne dura pas longtemps dans cette partie du Comtat car dans les dernières années du XIIe siècle, la convoitise des comtes s’exprima de nouveau avec Raymond VI, qui chassa de nouveau les évêques de Vaison et cette fois-ci aussi de Carpentras de leur sièges, les privant de leurs domaines temporels. Il fit même construire un fort dans cette ville pour assoir son pouvoir, parjurant la promesse de son père et il forca les habitants à lui prêter serment de fidélité. L’évêque Geoffroi de Garosse porta ses plaintes au pape et Raymond fut obligé, à Saint Gilles, de réintégrer l’évêque dans tous ses droits, de l’indemniser de 18000 sols raymondins et de démolir sa forteresse…La tradition veut que la tour de l’horloge ou Beffroi, ainsi que la vieille porte d’entrée de l’ancien poids de la farine, aient fait partie de ce château des comtes de Toulouse.
A l’époque des comtes de Toulouse, l’enceinte de la ville était à peu près circonscrite à celle de la cité gallo-romaine. On peut en reconnaitre peu ou prou le tracé si on s’amuse à regarder le plan de la ville avec attention.
Malheureusement pour les comtes de Toulouse, d’autres avaient des visées sur leurs terres et le prétexte de la guerre contre les Albigeois se solda par la fin de la maison de Toulouse.
Alphonse de Poitiers ayant pris possession du Venaissin, comme comte de Toulouse, apprit que tous les titres concernant les droits des comtes, leurs revenus, leurs domaines particuliers et les fiefs dont on leur devait l’hommage avaient été perdus. Il ordonna donc une grande enquête qui fut confiée à l’évêque de Carpentras, Guillaume Beroardi, lequel la fit continuer par Guillaume Bermundi, son notaire. Cette enquête fut commencée à Cavaillon, le 29 Octobre 1253, et suivie dans tous les diocèses du Venaissin. Le notaire Bermundi étant allé en Avignon, le viguier lui déclara que les comtes de Toulouse avaient dans cette ville les « langues de bœuf », la leude, le poids, le sextier et autres droits honorifiques, avec quelques redevances sur le sel et sur le palais de justice. La commune d’Avignon était en effet toujours demeurée loyale à ses anciens souverains.
Les habitants de Carpentras s’appuyèrent sue eux pour essayer de s’émanciper et pour réclamer des droits politiques. Les intérêts de l’évêque étant compromis, celui-ci résista. Il céda pourtant devant la volonté d’Alphonse. Guy de Vaugrigneuse, sénéchal du Venaissin, du consentement de Raymond de Barjols, évêque et seigneur de Carpentras, accorda à cette ville le droit de commune, c’est-à-dire le droit d’élire des magistrats pour la police et l’administration des affaires particulières. L’année 1269, l’assemblée générale ou parlement élut quatre syndics, pris indifféremment parmi les citoyens. Leurs noms sont restés : Bertrand Radulphi, Guillaume Alquerii, Imbert Cavalerii et Bertrand Giraudi.
Les affaires se modifièrent avec l’installation des papes en Avignon. Comme cette ville était aux mains du comte de Provence, Carpentras se trouva naturellement la ville la plus importante du Comtat. Mais l’évêque en était le seigneur temporel. Aussi, les Recteurs, qui avaient succédé aux Sénéchaux, prirent leur résidence à Pernes, pour ne pas heurter leur juridiction contre celle de l’évêque. Cela dura jusqu’en 1320, où le pape Jean XXII engagea l’évêque Othon à lui céder ses droits seigneuriaux, moyennant un équivalent qui fut réglé du consentement des deux parties. Alors fut établi à Carpentras le siège de la Rectorie et de la chambre apostolique. Carpentras fut alors considérée comme la capitale du Comtat et prit une prépondérance qu’elle garda jusqu’à la réunion d’Avignon en 1348...
La porte d’Orange
Au milieu du XIVe siècle, les grandes compagnies se font menaçantes dans la vallée du Rhône et en Provence. En effet, licenciés après le traité de Brétigny en 1360 et sans moyens d’existence, ils pensent alors que les états du pape peuvent être pillés et leurs villes rançonnées. Le pape Innocent VI recommande alors aux villes et châteaux du Comtat de relever leurs remparts, craignant la venue des bandes de l’Archiprêtre.
A Carpentras, les consuls perçoivent alors des taxes supplémentaires pour financer la construction d’une nouvelle enceinte. Les travaux avanceront peu pendant vingt-cinq ans et dureront jusqu’à la fin du siècle. Clément VII, prévoyant les maux qu’allaient causer les gens de Charles de Durazzo et d’Urbain, son compétiteur, ordonna d’achever les fortifications, faisant même contribuer les ecclésiastiques, les finances étant au plus bas.
Cet ensemble défensif comporte alors trente-deux tours, rondes ou demi-rondes. Les portes, qui se situent aux quatre points cardinaux sont fortifiées. Chacune était percée dans une grosse tour carrée, à l’exception de la tour de Notre Dame, qui, par une imitation de l’antique, était sérrée entre deux tours rondes.
Il ne reste plus de nos jours que la porte d’Orange. C’est par cette porte qu’entrèrent dans Carpentras les commissaires royaux qui vinrent consacrer en 1791 la réunion du Comtat Venaissin à la France.
Bien que le ravelin, les fossés et le pont-levis aient disparu, la tour garde fière allure avec son crénelage sur mâchicoulis en encorbellement. Elle est barlongue, « ouverte à la gorge », et culmine à 26 mètres, laissant entrevoir l’importance de la cité à cette époque.
Le Beffroi
Après avoir tenu leurs réunions au palais épiscopal dans le réfectoire des dominicains ou à la Rectorie, les consuls achètent en 1470, pour 350 florins d’or, le logement d’Erneus Andardy. Ils confient à Blaise Lescuyer, maître d’œuvre de la cathédrale, le soin d’en faire une maison commune, à l’aide de pierres extraites des carrières de Caromb. Il fait édifier un bâtiment desservi par un escalier en vis installé dans une tourelle. Celle-ci est surélevée en 1572 pour recevoir le campanile en fer forgé commandé à Nicolas Calis
On trouvait au rez-de-chaussée le poids de la farine et une chapelle, à l’étage, la grande salle du conseil, les archives et la cour des comptes et enfin au dernier étage l’arsenal.
Le Beffroi a échappé à l’incendie du 21 Novembre 1713, qui, en pleine nuit, ravage l’édifice, détruisant même l’horloge.
L'arc de triomphe
Sur la grande place du marché s’élève le palais de justice, autrefois palais épiscopal. Ce palais fut élevé en 1640 par le cardinal Bichi, évêque de Carpentras. Dans le fond de la cour se trouvaient les prisons et dans un enfoncement près de la cathédrale Saint Siffrein, on trouve les restes d’un arc de triomphe antique qui fut longtemps enfoui dans les cuisines du palais. Il pourrait avoir servi de porte à la cité gallo-romaine. On peut apercevoir sur ses faces des bas-reliefs représentant des captifs aux proportions démesurées. L’arc a dû être élevé en l’honneur de Claude (268-270), que toutes les villes de l’empire honorèrent par des statues, des arcs triomphaux, des autels ou des temples, à cause de ses vertus et de sa valeur à terminer la guerre gothique ; ou bien en l’honneur d’Aurélien(270-275), qui fit exécuter divers travaux dans la Viennoise et la Narbonnaise ; ou bien en faveur de Dioclétien(284-305), qui rendit le calme et un moment de grandeur à la Gaule.
La cathédrale Saint Siffrein
L’église paroissiale de Carpentras, dédiée à la Vierge, à Saint Pierre et à saint Siffrein, est un des échantillons du style ogival de la décadence. La première pierre fut posée en 1405, sur les ruines d’une plus anciennes, par l’archevêque d’Arles qui en avait reçu la commande de l’anti-pape Benoit XIII. On trouve une inscription à ce propos sur le mur méridional. L’édifice ne fut consacré au culte qu’en 1519, ce qui explique le style de la porte latéralle. Le chapître de l’ancienne cathédrale, fondée par l’évêque Ayrardus, en 982, fut d’abord régulier et de l’ordre de Saint Augustin. Il fut ensuite sécularisé et de seize chanoines réduit à douze, en 1241. L’acte autographe de la fondation fut faite avec le consentement de Guillaume et de Rotbold, comtes de Provence. C’est probablement Ayrardus qui a fait construire le vieux cloitre roman attenant à l’église, détruit depuis.
L’église de Carpentras avait été l’objet des libéralités de Charles, en 857, dans la même charte déjà citée. Il s’y était tenu un concile, sous la présidence de Saint Césaire, le 6 Novembre 527.
Le quartier juif
Des communautés juives sont venues s’installer dans toutes les villes du sud de la Gaule dès la fin de l’Antiquité, dans le sillage de l’administration romaine. En comtat, leur présence est attestée dès le IIIe siècle. Ils ont été plus ou moins tolérés ou malmenés, selon le degré de protection que l’évêque et les seigneurs locaux leur accordaient. Au début du Moyen Age, ils étaient implantés dans de nombreuses communes : Carpentras, mais aussi Pernes, l’Isle sur la Sorgue, Monteux, Mazan, Caromb, Malaucene etc… Certains étaient propriétaires terriens et même paysans ou viticulteurs. Leur religion les obligeant à savoir lire ou écrire, ils étaient souvent aussi professeurs, scientifiques, médecins, banquiers, et en relation avec les autres communautés de grandes villes d’Europe ou d’Orient, ils faisaient également du commerce.
A partir du XIIIe siècle, leurs conditions se sont peu à peu dégradées et leurs libertés restreintes : on les oblige à porter un signe distinctif (pièce de tissu ou chapeau jaunes), on leur interdit d’être propriétaires, de voyager et la liste des métiers, qu’ils ont le droit d’exercer, s’amenuise jusqu’à se limiter, à partir du XVIe siècle, à la brocante, à la friperie, au maquignonnage et au prêt à intérêt…
Chassés des royaumes européens, ils doivent, après mille ans d’implantation, quitter la France ou l’Espagne. Beaucoup se réfugient dans les pays musulmans ou orthodoxes. Un petit nombre d’entre eux a choisi de rejoindre les communautés vivant dans les états pontificaux, comme Avignon ou le Comtat Venaissin. En effet, les papes, pour des raisons idéologiques, leur accordent la liberté de culte et de résidence. Les juifs comtadins, appelés aussi juifs du pape, voient donc leurs rangs grossir avec l’arrivée des juifs de Provence (après que celle-ci soit devenue française), de Languedoc ou de Catalogne.
Au début du XVIIe siècle, ceux des villages sont sommés de se regrouper dans les communautés d’Avignon, Cavaillon, l’Isle sur la Sorgue et Carpentras. Si bien que cette dernière, à la fin du XVIIIe siècle, compte 914 personnes (1/10e de la population de Carpentras). Ils sont obligés de s’entasser dans la carrièra, mot provençal qui signifie rue, dans laquelle ils sont assignés à résidence. Le quartier entièrement clos était très densément construit, avec près de 128 maisons, dont certaines avaient jusqu’à huit étages, et dont toutes les ouvertures donnaient sur une seule et même ruelle étroite et sinueuse. La « juiverie », coupée des autres quartiers par des portes, fermées et gardées la nuit, fut le lieu de résidence des juifs de 1461 jusqu’à la Révolution française.
En Janvier 1790, l’Assemblée constituante reconnut aux juifs les mêmes droits qu’à tous les citoyens français. Pour la communauté carpentrassienne, ce fut le signal : en quelques mois, la carrièra se vida de ses habitants, libres désormais de s’installer sur le territoire national sans restriction.
Au cœur de la carrièra, rasée et remaniée depuis la fin du XIXe siècle à la façon « hausmanienne », se cache derrière une discrète façade, l’une des plus vieilles synagogues d’Europe et la plus vieille de France, toujours en activité. Cette maison fut, dès 1342, le siège de la vie religieuse juive. Elle comporte, dans ses parties basses, les fameux bains et boulangerie rituels, conservés intacts depuis le Moyen Age et dans les étages, les salles de prière, de réunion et d’enseignement, qui ont été reconstruites et décorées au milieu du XVIIIe siècle par l’architecte Antoine d’Allemand dans le style baroque provençal. Classé monument historique, ce lieu empreint d’émotion se visite encore aujourd’hui.
Sources:
- Panneaux situés dans la ville
- Livre Département du Vaucluse, dictionnaire des communes, de Jules Courtet, édition Res Universis
Photos:
- Jimre (2017)
Posté le 12-03-2017 19:27 par Jimre