La Comtesse
Château de la Comtesse
Brève histoire du Château de Comtesse
Situation
Le château se trouve dans la commune de Saint-Gervais-les-Bains.
Les origines
La question des origines du château de la Comtesse a été traitée par M. Henri Baud dans les articles cités ici en bibliographie ; il y a montré que la construction de cette maison forte était une conséquence indirecte de la cession du Dauphiné à la France (1354).
Lorsque les documents antérieurs à cette date parlent du château de Montjoie, il s'agit de l'édifice, aujourd‘hui presque totalement disparu, qui occupait le site de l’actuelle église des Contamines. Cette localisation excentrique du siège des autorités est due au fait que le Quartier-d’en-haut de Saint-Nicolas-de-Véroce, qui devait s’en détacher pour former la paroisse, puis commune, des Contamines était alors poste-frontière du Faucigny face à la Tarentaise et au Beaufortin, possessions du comte de Savoie.
La dernière héritière des sires de Faucigny, Agnès, épousa le comte de Savoie Pierre II, le Faucigny restant sa propriété personnelle qu’elle légua à sa fille Béatrice. A la mort de celle-ci, le Faucigny passa aux mains de son époux Guigues ou Hugues, dauphin de Viennois. Un arrière-petit-fils de Guigues, Humbert II, vendit toutes ses possessions à Philippe VI, roi de France (1343). Les terres de ce dernier se trouvaient ainsi si étroitement imbriquées dans celles du comte de Savoie qu'une remise en ordre s'avéra bientôt nécessaire : en 1355, Jean II le Bon céda la Faucigny et le pays de Gex à Amédée VI, le Comte Vert, en échange de ses fiefs du Viennois.
Le Faucigny ainsi réuni à la Savoie, il était naturel que le centre administratif de la vallée de Montjoie passe à la plus importante de ses deux paroisses, celle qui se trouvait au croisement de deux voies de communication : de Dauphiné en Valais, par la vallée de l'Arly et le col de la Forclaz, et de Genève en Italie, par la vallée de l'Arve et le col du Bonhomme à Saint-Gervais. Ce transfert fit apparaître le besoin d'une maison forte « où les châtelains et autres officiers du seigneur puissent résider et où les délinquants puissent être gardés en toute sécurité ». Ainsi s’expriment les comptes de châtellenie de l’an 1375, pour justifier l'achat d’une pièce de terre Saint-Gervais.
Les mêmes comptes témoignent des frais de construction de la maison en question dont le prix-fait fut donné pour soixante-cinq florins, non compris la fourniture des matériaux, à un certain Nycod du Fresney.
Quelle fut la comtesse qui donna son nom à cette maison ?
Certainement pas Béatrice de Faucigny : elle était alors morte depuis longtemps (1310) et n'avait jamais porté d'autre titre que celui de dauphine. On pense d’abord à Bonne de Bourbon, épouse du Comte Vert, qui exerça la régence après sa mort (1383), construisit ou répara maints châteaux de la région et reçut le Faucigny en douaire. Mr Henri Baud a bien montré qu'il s’agit plus probablement de Bonne de Berry, épouse d 'Amédée VII : devenue veuve, elle reçut en douaire les revenus de certaines châtellenies de Faucigny, Beaufort et Tarentaise, ceci à une date (4 mai 1393) qui coïncide avec l'apparition dans les comptes de la mention de la maison de la Comtesse. Il faut noter qu’à l’époque Bonne de Berry n'était plus comtesse de Savoie mais, de par son remariage, d’Armagnac.
La résidence des Dufresney
Le Nycod du Fresney qui construisit la Comtesse semble bien être le fils d’un certain Bertrand qui, d'après de vieux mémoires dont l'Armorial et Nobiliaire de Savoie fait état, aurait obtenu du dauphin Hugues abergement des eaux aboutissant au village du Fresnay, avec permission de construire sur ces eaux « des artifices de toute nature », c'est-à-dire des moulins, ce qui était un privilège seigneurial. Le même Bertrand obtint encore du dauphin Humbert II une déclaration (1328) suivant laquelle les Dufresney appartenaient à la famille de Faucigny et se trouvaient donc dispensés de payer tailles et subsides. Peut-être est-ce alors que les Dufresney prirent l'habitude d’arborer un écusson où leurs propres armes, de gueules au frêne d’or, se trouvaient écartelées avec celles des sires de Faucigny, pallé d'or et de gueules de six pièces. En tout cas, ils prirent rapidement rang parmi la noblesse locale, à côté des Bongain et des Hoste.
Cette ascension sociale semble s'être réalisée en deux temps. D'abord, par la participation aux charges publiques, en particulier celle de châtelain ; puis par rachat des droits féodaux du comte de Savoie sur une partie du territoire de la vallée. Souffrant d'impécuniosité chronique, les comtes se prêtaient volontiers à ce genre d 'opération pourvu que l'acquéreur se reconnût leur vassal. Ainsi s'explique qu'on trouve en 1560 un Gabriel Dufresney, châtelain de Montjoie, puis, en 1616, un Jean-Baptiste Dufresney, seigneur de la Comtesse.
C’est d'ailleurs entre ces dates que doit se situer l’installation des Dufresney dans la maison forte de Saint-Gervais : leur écusson, gravé dans le tuf du linteau de la porte d rentrée, porte le millésime de 1578. Les comptes de châtellenie de la fin du XVIe siècle font d’ailleurs mention d'une "refacture du château de Monseigneur" : on aura ajouté au bâtiment primitif les tours, dont le prix-fait de Nycod ne parlait pas.
Les Dufresney ont dû demeurer à la Comtesse jusqu' à la mort de Claude-Melchior (1698). Faute d’héritiers directs sa veuve, Anne-Charlotte Dutour, qui lui survécut près de vingt ans, testa en faveur des fils de son frère, Joseph et César Dutour. Ces derniers ne semblent pas avoir jamais résidé à Saint-Gervais, ni avoir éprouvé le moindre regret de se défaire de leur héritage lorsqu’une occasion avantageuse se présenta.
L’acquisition des Octenier
Les Octenier sont originaires de Saint-Nicolas-de-Véroce. La branche qui nous intéresse ici descend d’un certain Guillaume, du Nant-Blanchet, notaire et serf des religieux du prieuré de Contamine-sur-Arve, curés primitifs de Saint-Nicolas : ceux-ci l'affranchirent en 1463, dans l'intention clairement signifiée d’améliorer sa situation économique. Peut-être les résultats devaient-ils, avec le temps, dépasser leurs espérances.
Deux siècles plus tard (1634), Nicolas-Georges Octenier habite Bionnay ; il est bourgeois de Sallanches, titre acheté par son père ; il exerce la fonction de notaire curial et afferme les lods du mandement conjointement avec Jean-Baptiste Dufresney. Un peu plus tard, il accède à la charge de châtelain de Montjoie.
Avec lui, c'est toute la famille Octenier qui supplante les Dufresney dans l'administration du mandement. Durant le siècle suivant, le châtelain de Montjoie sera bien souvent un Octenier et en général un descendant direct de Nicolas-Georges. En même temps, les Octenier seront notaires : on en comptera jusqu'à quatre du même nom à exercer simultanément dans la vallée.
L'histoire des Octenier culmine avec Joseph (1697-1743), notaire et châtelain. II commença par louer la Comtesse aux Dutour, puis l’acheta le 26 novembre 1740, au prix de onze mille six cents livres. II acquérait ainsi quelque vingt-huit hectares de terre. Le fonds de la Comtesse était alors limité, au nord, par le ruisseau de Panloup, qui sépare la maison de l’agglomération centrale de Saint-Gervais ; à I ‘ouest, par le Bonnant ; au sud, par le petit ruisseau qui se jette dans le Bonnant à quelques mètres en aval du pont du Diable ; à l'est, une limite beaucoup moins nette passait au pied de la Mollaz puis remontait jusqu’au Mellerey. Ce à quoi il fallait ajouter les moulins des Champs, entre les Praz et la Perrette.
Ce domaine devait d 'ailleurs être bientôt démembré. Celui des fils de Joseph qui lui avait succédé dans ses charges, François-Alexandre, sut désintéresser ses frères et sœurs de manière à lui succéder aussi dans ses biens de Saint-Gervais. Mais sa position était de celles dans lesquelles il est bien difficile de ne pas se faire d 'ennemis. La Révolution l'amena donc à émigrer et ses biens furent mis sous séquestre au profit de ses enfants, tous mineurs. Rentré sous l’Empire, il obtint sa radiation de la liste des émigrés et récupéra la majeure partie de son patrimoine. Mais ses filles, grandies en son absence et mariées, I ’obligèrent à partager ses biens également entre eIles et Victor-André (1811) . En ce qui concerne les bâtiments, échurent à Catherine -Marie-Geneviève, épouse de Jean Batard, dont descend la famille Dablainville; le rez-de-chaussée du château, à Victor-André; le premier étage, à Constance-Emilie, épouse de Jean-François Cohendet (C'est très probablement Cohendet qui a fait construire le corps de logis qui s'adosse au côté est du château et communique avec lui au niveau du premier étage).
Quand François -Alexandre mourut, en 1819, son seul héritier mâle, Victor-André, vivait dans la gêne, sinon dans la misère.
Vingt ans plus tard, il se trouva obligé de vendre son bien pour désintéresser ses créanciers et, en premier lieu, ses propres sœurs. Seule l'intervention d'une de ses filles, Constance-Mélanie, empêcha la Comtesse de passer aux mains des étrangers.
La descendance des Octenier
En 1839, Constance-Mélanie Octenier travaille à Paris comme domestique. Elle est mariée depuis un an à Elie-Marie Delachat, originaire comme elle de Saint-Gervais et facteur aux Messageries Générales. Associés à un frère d'Elie-Marie qu'ils désintéresseront par la suite, ils achètent le bien de Victor-André pour dix mille livres neuves (25 novembre 1839). Victor-André se trouve alors à l’'asile de vieillards de Chambéry où il mourra trois ans plus tard. Quant à sa femme, Jacqueline Onillon, sa fille et son gendre lui réservent sa vie durant la pièce sise au nord-ouest du rez-de-chaussée. Les nouveaux propriétaires donnent leur bien à ferme en attendant de venir y prendre leur retraite.
A sa mort (1893), Delachat laisse deux enfants. Son fils Auguste s'est établi à Paris où il fera souche ; sa fille Constance-Eléonore, rentrée en Savoie avec ses parents, a épousé Jacques-Damien Béné, receveur des postes à Chamonix. Cette fois encore, c'est le gendre qui recueille la succession d 'Elie-Marie en rachetant la part de son beau-frère.
Cependant la famille Cohendet est sur le point de s'éteindre.
L'un des fils de Jean-François est mort ; l'autre, Eusèbe, n'a plus donné de nouvelles depuis qu'il s’est embarqué à Boston pour la Californie, en 1849, les filles, restées célibataires, mourront l'une après l'autre à la Comtesse. La dernière, Marie-Félicité, fut assistée dans sa vieillesse par Jacques-Damien Béné et sa famille, ce qu'elle jugea bon de reconnaitre en lui léguant la quasi-totalité de ses biens. A son tour Jacques-Damien Béné manifesta sa gratitude, lors de l’ouverture du nouveau cimetière de Saint-Gervais, en faisant transférer dans son caveau de famille, avec les restes de ses beaux-parents, ceux de Marie-Félicité et de sa sœur Joséphine. Des deux filles de Jacques-Damien Béné seule la cadette, Elisa, se maria. Le nom de son mari, Gabriel Lionnet, est ainsi celui des actuels possesseurs de la Comtesse, qui sont ses descendants directs et par conséquent ceux de Joseph Octenier, l’acquéreur de 1743.
Fait à la Comtesse par André Lionnet le 30 Juillet 1983
Source fournie par Nano.M:
- Documents aimablement transmis par Marie-Hélène et Jean-Marie Sénéchal, les propriétaires, qui ont autorisé la publication.
Bibliographie
- BAUD, Henri : « La châtellenie de Montjoie », Revue de Savoie, No 3, 1955.
- BAUD, Henri : « Les origines de la châtellenie de Montjoie », Mémoires et documents de l'Académie de Faucigny, tome XIV, 1965.
- FORAS, Amédée de ; et alii: Armorial et nobiliaire de l’ancien duché de Savoie, Grenoble, 1863-1958.
- Archives de famille.
Photos:
- Nano.M (2023)
Posté le 30-05-2023 16:00 par Jimre