Pusignan
Pusignan
Voici un passage d'un livre sur la vie de Rodriguo de Villandrando ou Villa Andrando, mercenaire castillan, capitaine d'une compagnie de routiers, ayant guerroyé en France à la fin de la Guerre de Cent Ans, pour le compte de la Couronne de France la plupart du temps. On y parle de Pusignan lors de la célèbre bataille d'Anthon:
Titre du livre : RODRIGUE DE VILLANDRANDO, L'UN DES COMBATTANTS POUR L'INDÉPENDANCE FRANÇAISE AU QUINZIÈME SIÈCLE par J. QUICHERAT, DIRECTEUR DE L'ECOLE DES CHARTES.
...Là se présenta pour eux une affaire comme ils n'en faisaient pas souvent, une affaire où il y eut à gagner à la fois du butin et de la gloire l
À la faveur des manœuvres qui avaient brusquement arrêté les succès de Jeanne d'Arc, manœuvres dont tous les familiers de la cour de Bourgogne avaient le secret, le prince d'Orange, grand ami de Philippe le Bon et encore plus de son profit, forma le dessein de s'emparer du Dauphiné par un coup de main. Par l'acquisition de cette province, qui était comme le trait d'union entre sa principauté et d'immenses domaines qu'il possédait dans toute la longueur du mont Jura, il fût devenu l'un des potentats de l'occident. Malgré son hostilité déclarée contre la couronne de France, on avait eu l'indulgence, pour ne pas dire la faiblesse, de lui laisser prendre possession de plusieurs châteaux du Dauphiné, dont il se prétendait héritier. Il en profita pour mettre secrètement des garnisons partout et pour induire ses amis à le servir quand l'heure serait venue.
En même temps, il attira le Duc de Savoie dans son entreprise et, moyennant l'offre du Graisivaudan qu'il lui laissait à prendre sur sa future conquête, il obtint de lui la permission de faire dans ses Etats une levée de trois cents lances.
Le complot ne fut pas tenu si secret que le sire de Gaucourt, gouverneur du Dauphiné, n'eut apprit au moins le principal. Il informa le roi de ce qui se préparait, lui représentant combien la situation était périlleuse; car la chevalerie dauphinoise avait été exterminée à la bataille de Verneuil, et tout ce que lui, gouverneur, pouvait faire, était de réunir au restant de la noblesse du pays deux compagnies de Lombards dont Imbert de Groslée disposait comme sénéchal de Lyon. La réponse de Charles VII fut qu'il n'avait pas de troupes disponibles pour la défense d'un point si éloigné, et que le gouverneur n'avait qu'à faire de son mieux pour le salut du pays !
Dans cette extrémité, Gaucourt, qui était un homme de résolution, eut bientôt fait de prendre son parti. Il contracta un emprunt sur l'impôt à voter par les Etats de la province, qui étaient à la veille de se réunir, puis, muni d'une bonne somme d'argent, il s'éloigna en compagnie du sénéchal de Lyon. Ils n'avaient dit à personne où ils se proposaient d'aller, et, pour ne pas attirer les regards, ils avaient poussé la précaution jusqu'à se dépouiller de leurs armes . Mis comme des gens qui partaient en promenade, ils prirent sans être remarqués le chemin d'Annonay.
Rodrigue de Villandrando et plusieurs de ses subordonnés, Valette entre autres, tenaient pour le moment leurs quartiers autour de cette ville. Il s'agissait de les enrôler pour la défense du Dauphiné. Les offres du gouverneur furent trouvées acceptables, puisque les bandes ne tardèrent pas à s'ébranler pour descendre dans la vallée du Rhône. Elles traversèrent le pont de Vienne dans la nuit du 26 mai 1430 et furent menées tout d'une traite devant Auberive, possession du prince d'Orange à deux lieues de là. La garnison logée dans cette place avait déjà commencé les hostilités ; on ne s'aventurait plus aux alentours sans risquer d'être capturé et mis à rançon. Plus de trente personnes notables du pays, victimes de ce genre de violence, attendaient dans les prisons du château que leurs familles eussent réuni de quoi les racheter.
L'attaque fut d'une vigueur extrême. En quelques heures les routiers emportèrent le bourg, puis la première cour du château, puis la seconde; mais le donjon, tenu par une centaine d'hommes qui s'y étaient retranchés, résista pendant deux jours. Pour amener ces gens à se rendre, il fallut commencer la démolition de la tour à coups de canon. Quand on sut dans le pays la prise du château, il vint des ouvriers en foule pour travailler à la démolition de ce dangereux repaire. Il n'en serait pas resté une seule pierre debout, sans un ordre du gouverneur qui enjoignit d'épargner quelques pans de murs, afin de perpétuer le souvenir de la félonie du prince.
Cependant les Etats réunis à La Côte Saint-André décrétaient toutes les mesures de salut public dictées par la circonstance. Ce qu'on avait pu rassembler de troupes, joint aux compagnies de Rodrigue et de Valette, fut dirigé du côté où l'on s'attendait à voir paraître l'ennemi.
L'armée enleva, chemin faisant, les châteaux d'Azieu (Genas) et de Pusignan, où il y avait garnison d'orangistes. Elle s'arrêta devant le Colombier, qui ne voulut pas se rendre sans avoir eu l'honneur de subir un siège. C'est alors seulement que le prince d'Orange, qui s'était avancé par la Bresse, se trouva en mesure d'entrer en Dauphiné. Il passa le Rhône au bac d'Anthon dans la journée du 9 juin 1430.
Anthon est situé sur la rive gauche du Rhône en face du confluent de l'Ain. La berge dauphinoise, peu élevée en cet endroit, forme le premier gradin d'un massif montueux et boisé qui s'étend en longueur du nord au midi. Du côté de l'ouest, c'est la plate plaine jusqu'à Lyon, sauf une arête étroite qui se détache du massif et qui finit bientôt en un promontoire couronné par le château de Pusignan. A une lieue derrière cette arête, sur le versant du massif, on voit le Colombier.
Reçu en grande révérence dans le château d'Anthon, le prince d'Orange, dès le lendemain de son arrivée, y tint cour plénière comme dauphin de Viennois, et à ce titre, il partagea entre ses fidèles les offices de la province. A ceux qui n'eurent rien dans cette distribution, il promit monts et merveilles. Il parla de la présence des Français devant le Colombier comme du prélude d'un triomphe certain pour ses armes. L'extermination du ramassis d'aventuriers que lui opposait le sire le de Gaucourt serait d'autant plus facile, qu'ils auraient à se défendre du côté de la place qu'ils assiégeaient.
L'important était de se hâter. Dès le lendemain matin, quoique le lendemain fût un dimanche et la fête de la Trinité, on marcherait à la délivrance du Colombier.
En guerre on a beau proposer; le plus souvent c'est la fortune qui dispose. Il arriva que la garnison du Colombier se rendit dans la nuit du samedi à ce même dimanche, qui était le 11 juin, de sorte que les Français, libres sur leurs derrières, purent se préparer à recevoir avec toutes leurs forces l'armée qui venait les attaquer.
Pendant qu'on réglait l'ordre de bataille, Rodrigue demanda que la conduite de l'avant-garde lui fût confiée. Il savait que ce commandement appartenait de droit au maréchal de Dauphiné ; mais il espérait qu'on voudrait bien pour cette fois déroger à l'usage, en considération de sa qualité d'étranger et de la composition des troupes qu'il avait amenées avec lui. C'étaient des hommes de tous pays, qu'il importait de ne pas laisser un seul instant dans l'inaction. En les engageant tout d'abord, on n'aurait pas à craindre leurs écarts, et, si le malheur voulait qu'ils eussent le dessous, les Lombards et la chevalerie dauphinoise, qui formaient le reste de l'armée, pourraient, en se retirant à temps, conserver au pays le noyau d'une force nécessaire à son salut.
Le maréchal de Dauphiné était Imbert de Groslée, qui se trouvait joindre cette dignité au commandement du Lyonnais. Il essaya vainement de défendre sa prérogative mais le sire de Gaucourt décida, en vertu de son autorité de général en chef, qu’il serait fait selon le désir du capitaine espagnol. Rodrigue prit donc les devants et se mit en embuscade sur la lisière d'un bois qui, aujourd'hui encore, couvre presque tout le massif depuis Anthon jusqu'à une plaine creuse d'une lieue de large, en avant du Colombier.
L'ordre était que l'avant-garde s'appuierait sur les compagnies de Valette et d'un autre routier, composant la division de droite. Les Lombards, sous les ordres des deux capitaines piémontais Georges Boys et Borno de Caqueran, devaient se tenir à gauche et surveiller le charroi qui s'acheminait du côté d'Anthon, escorté d'un fort détachement d'infanterie. Le sire de Gaucourt et Imbert de Groslée prirent le commandement de la division du centre, où avait été mise la noblesse du pays. Ce corps se mit le dernier en marche pour occuper le milieu de la plaine.
L'armée ennemie, de son côté, s'avançait par le bois, croyant surprendre les Français. Le prince, détrompé par ses éclaireurs, dissimula son étonnement, et, afin de donner le change, envoya demander la bataille au gouverneur de Dauphiné.
Il allait, lui et les siens, déboucher dans la plaine, lorsque des traits volant de droite et de gauche l’avertirent que les fourrés entre lesquels on marchait n'étaient plus ceux d'une foret déserte.
Le trouble commença à se mettre dans les rangs par le fait des chevaux qui se cabraient quand ils étaient touchés.
Rodrigue se présenta alors avec ses hommes d'armes, la lance en arrêt. Le voilà poussant cette cavalerie qui se trouvait massée dans un chemin montant, entre deux rangées d arbres qui valaient autant que des murailles.
La position n'était pas tenable. Les orangistes rétrogradèrent pêle-mêle pour aller chercher d'autres issues, et c'est à la débandade qu'ils arrivèrent sur le champ de bataille, occupé déjà par l'ennemi . Les Français, vu leur petit nombre, faisaient si peu d'effet dans cette vaste plaine, que le prince, ne pouvant pas croire que l'attaque viendrait de leur côté, ne mit aucune diligence à réparer le désordre des siens. Il laissa ce soin à ses chefs de corps, et s'arrêta à conférer la chevalerie à de jeunes seigneurs qui la demandaient.
Cependant, les petits groupes qui composaient l'armée delphinale s'étant ébranlés arrivèrent en un clin d'œil, tant leur course fut impétueuse, devant les lignes non pas encore tout à fait formées de leurs adversaires.
Pour que ceux-ci parvinssent à achever leurs dispositions, il ne fallut rien moins que la résolution héroïque d'un peloton de jeunes gens de la noblesse bourguignonne, qui mirent pied à terre en jurant de mourir plutôt que de reculer d'une semelle. Ces braves furent fidèles à leur serment ; mais le temps qu'on mit à les abattre ne suffit point aux autres pour réparer le défaut de leurs premiers mouvements. Ils furent rompus dès que les trois divisions françaises eurent opéré leur jonction.
A peine y avait-il une heure que l'action était commencée, et l’on assistait à une chasse plutôt qu'à un combat.
Des cavaliers laissaient là cheval et armures. Les fantassins en faisaient autant de leurs arbalètes, de leurs épées, des maillets de plomb dont on les avait pourvus, pour briser les bassinets et les cuirasses sur le corps des Français. Ce n'étaient que gens éperdus courant dans tous les sens, ceux-ci pour gagner le Rhône, ceux-là pour se cacher dans les blés ou dans les bois. De très vaillants hommes, qui n'avaient jamais reculé devant l'ennemi, perdirent la tête et tournèrent bride comme les autres : ainsi le comte de Fribourg, qui était venu avec une compagnie de Suisses; ainsi le seigneur de Montagu-Neufchâtel, chevalier de l’ordre tout nouvellement créé de la Toison-d'Or, que les Anglais avaient élevé à la dignité de grand-bouteiller de France. Pour avoir cherché son salut dans la fuite, il fut dégradé de l'ordre, et alla mourir de chagrin en Terre-Sainte.
Le prince d'Orange lui-même, atteint de plusieurs blessures et menacé de toutes parts, s'en remit à la vitesse de sa monture. Il arriva inondé de sang au château d'Anthon. La garnison lui ayant déclaré qu'elle était décidée à se rendre, quoiqu'il y eût dans la place des munitions et des vivres pour y tenir deux ans, désespéré, il se déroba à la tombée du jour avec la résolution de traverser le Rhône. Le même cheval, qui lui avait sauvé la vie le matin, la lui sauva encore dans cette traversée périlleuse. Il aborda sans nouvel accident à la rive bressane. On dit que, lorsqu’ il mit pied à terre, prenant dans ses mains la tête du noble animal, il le baisait en pleurant et l'appelait son libérateur.
Quelle terrible disgrâce pour un homme puissant, qui avait si pompeusement annoncé sa victoire. Sa gloire était tournée en honte, et son assurance de la veille n'allait plus être aux yeux de tous qu'une ridicule forfanterie.
Quatre mille hommes de belles troupes qu'il avait venaient de fondre devant une armée (si cela peut s'appeler une armée) plus faible d'un tiers pour le moins. Cinq cents des siens avaient mordu la poussière, deux cents s'étaient noyés dans le Rhône, on ne pouvait pas dire le nombre des prisonniers, et lui, désobéi, méconnu, abandonné, il fuyait tout seul, laissant aux mains de l'ennemi ses châteaux, son matériel de guerre et toutes ses enseignes. Son grand étendard de soie rouge et noire, où il avait fait appliquer un soleil d'or dardant ses rayons jusqu'au bout de l'étoffe, fut porté à Grenoble pour être suspendu dans la chapelle des dauphins. Sa bannière, aux armes de Chalon, de Genève et d'Orange, échut en partage à Rodrigue, qui l'envoya comme offrande à l'église de Valladolid où reposaient ses ancêtres.
Si la journée fut belle pour quelqu'un, c'est pour le capitaine espagnol. Sa contenance sur le champ de bataille fut celle d'un lion. Il promenait devant lui l'épouvante et la mort, et les groupes sur lesquels il se jetait semblaient perdre la force de se défendre. Sa perte fut d'un seul homme tué, tandis que le gain lui arriva sous toutes les formes. « Homme plein de malicieux engin , dit la Chronique Martinienne, il exploita merveilleusement en la défense, sans y oublier son profit. » Hernando del Pulgar nous apprend en quoi le savoir-faire de son avisé compatriote se montra ce jour-là d'une manière si notable. Lorsque la bataille fut finie. Il s'entendit avec un de ses prisonniers et se fit dire par lui, moyennant qu'il lui promette sa liberté sans rançon, les noms et qualités des autres captures que ses gens avaient faites. De cette façon, tous ceux qui lui furent désignés comme de grands seigneurs, il les acheta au comptant bien au-dessous du prix qu'ils valaient, pour les taxer au décuple une fois qu'il les eut en son pouvoir.
Entre ceux dont il fut trafiqué de la sorte, nous connaissons François de la Palud et Guillaume de Vienne, ou, pour les appeler par leurs noms vulgaires, de Varambon et le sire de Bussy.
De Varambon, chevalier bressan, passait pour le meilleur capitaine de la Savoie. La journée d'Anthon lui fut particulièrement funeste. Outre qu'il fut ruiné, sa mère, ayant été obligée d'ajouter huit mille florins de bon or à tout le sien qu'il avait donné pour se tirer des mains de l'espagnol, il eut le visage ravage par une si effroyable taillade, qu'il dut porter depuis lors un nez d'argent.
Quant à de Bussy, il sut ce qu'il en coûtait d'être l'héritier du nom le plus illustre de la Bourgogne. Sa délivrance fut mise à un prix si élevé que, pour par faire la somme, il fallut quêter partout. La famille était épuisée par ce genre de dépense : une rançon du père, quelques années auparavant, avait coûté soixante mille écus. Le duc et la duchesse de Bourgogne consentirent à tendre l'escarcelle en faveur du prisonnier.
La preuve des démarches accomplies par eux auprès du gouvernement anglais existe dans une lettre récemment découverte de la duchesse au cardinal de Winchester.
Après la bataille, les capitaines se séparèrent pour aller, chacun de son côté, réduire les places où l'ennemi avait compté trouver ses points d'appui. Rodrigue prit sa direction du coté de Lyon, comme s'il se proposait de porter la guerre en Bresse. Il laissait dire dans son camp qu'il avait mission de punir le duc de Savoie de sa connivence avec le prince d'Orange, et tous les rapports des espions bressans représentaient l'irruption des routiers comme imminente. Mais le capitaine n'avait en vue que de déjouer un dessein qu'on attribuait au même duc de Savoie sur Belleville en Beaujolais, propriété de la maison de Bourbon que le duc de Bourgogne, qui en avait l'hommage, aurait vue volontiers passer en d'autres mains. La démonstration fut complétée par l'occupation de Belleville, où Valette alla se loger avec sa compagnie. Lorsqu'il n'y eut plus d'inquiétude à avoir d'aucun coté, les capitaines se réunirent de nouveau pour fondre sur la principauté d'Orange, retournant contre le prince le fléau de l'invasion qu'il avait voulu faire tomber sur les pays du roi. Aussi bien lui avait-on entendu dire plus d'une fois qu'il regarderait Orange comme perdue, si on lui enlevait Anthon; et le sire de Gaucourt n'eut rien de plus pressé que de lui prouver qu'il avait prophétisé juste.
L'armée, grossie du marquis de Saluces, du vicomte de Tallard, du seigneur de Grignan , et de maints autres voisins qui avaient de vieilles dettes à se faire payer, arriva sans obstacle au bourg de Saint-Florent sous Orange.
Cette position fut enlevée dès le premier jour par escalade, et le siège posé sur six points à la fois autour de la ville.
La ruine colossale du théâtre romain, qui émerveille tous ceux qui la voient pour la première fois, formait alors le noyau d'une citadelle imposante. Flanquée de tours sur tout son circuit, elle gagnait par des ouvrages avancés le sommet du mont contre lequel elle s'appuie.
On l'appelait Gloriette, et Gloriette possédait tous les genres de défense dont un château féodal fût susceptible au moyen âge. A sa force réelle s'ajoutait le prestige des souvenirs, ou plutôt des récits fabuleux vulgarisés par les romans. C'est là qu'on plaçait le séjour de Guibour l'enchanteresse, une espèce d'Armide convertie à la foi chrétienne, qui avait aidé Guillaume au Court-Nez à s'emparer furtivement d'Orange, pour en partager la possession avec lui. Pendant une absence du héros, Guibour, avec les dames de la ville, avait tenu en échec devant les murs les armées de trente rois Sarrasins.
Sans s'inquiéter de ce que disait la chanson :
« Elle ne doute de France tot l'empire,
Ne la prandrez à nul jor de vo vie »
Les vainqueurs d'Anthon investirent à la fois le château et la ville. Pour défendre l'un et l'autre il n'y avait ni magicienne, ni paladins. Lorsque les habitants d'Orange virent l'ennemi de tous les côtés, ils se prirent à réfléchir que leur seigneur était bien loin, que les passages lui étaient fermés pour venir jusqu'à eux, enfin qu'il valait mieux crier vive le roi que subir l'assaut de ces Français, qui gâteraient la ville, s'ils la prenaient de force, tandis que, reçus sans résistance, ils ne séjourneraient guère, et par leur retraite laisseraient à la population la liberté de se retourner comme elle voudrait.
En conséquence, il y eut soumission et de la ville et du château (5 juillet 1430).
Les vainqueurs firent leur entrée aux acclamations de la foule, ne trouvant sur leur trajet que des visages avenants. Lorsqu'on fut arrivé à la grande salle du château, Gaucourt entouré des capitaines, comme un Charlemagne au milieu de ses pairs, se donna le plaisir d'instituer de nouveaux fonctionnaires et de recevoir les serments au nom de roi.
Jonquières, Gigondas, Courthezon, et toute la principauté jusqu'au territoire du pape, se soumirent à l'exemple de la capitale.
Cette conquête fut un résultat brillant, mais peu durable, de la défaite du prince d'Orange. Aussi n'en parla-t-on guère en France; mais au contraire, la bataille d'Anthon, qui avait sauvé la couronne delphinale, fut l'objet de tous les discours, et pour plusieurs une consolation de la perte de Jeanne d'Arc; car il est à noter que la Pucelle fut prise devant Compiègne le jour même que les routiers s'éloignèrent d'Annonay pour prendre le chemin du Dauphiné. On sut partout la part considérable que Rodrigue de Villandrando avait eue dans la victoire; quelques-uns allèrent même jusqu'à lui en attribuer tout l'honneur. Son nom, depuis cette journée, fut familier à tous les Français.
Par une distinction rare pour l'époque, il reçut le témoignage public de la reconnaissance de la province.
Un vote des États du Dauphiné lui adjugea la propriété du château et de la châtellenie de Pusignan, confisqués pour forfaiture sur Alice de Varax. C'est cette dame en effet qui avait ouvert le château aux orangistes sur qui Rodrigue eut à le reconquérir.
On ne peut pas douter que Charles VII n'ait accueilli avec une satisfaction extrême la nouvelle de la victoire remportée par ses armes. Une autre personne qui ne dut pas moins s'en réjouir fut le seigneur de la Trémoille. Investi d'un pouvoir de plus en plus absolu sur la direction de toutes les affaires, ce favori portait lourdement la responsabilité d'une suite de revers essuyés depuis qu'il avait mis Jeanne d'Arc à l'écart, de sorte que la défaite du prince d'Orange, quoiqu'il n'y eût contribué en rien, lui servit à justifier sa politique. Il sut même y puiser l'audace et la force de se débarrasser, par un coup d'État, de plusieurs familiers du roi qui lui portaient ombrage. Un service de cette importance rendu au monarque et à son ministre semblait appeler une récompense peu commune. Cependant on ne voit pas que Rodrigue de Villandrando, après la victoire d'Anthon, ait reçu autre chose que le titre d'écuyer de l'écurie du roi.
L'usage était d'accorder cette dignité aux débutants dans la carrière militaire, que le gouvernement avait l'intention de s'attacher. Elle était de très-petit rapport. Elle avait pour plus clair avantage de donner entrée à la cour. Or la cour n'était pas un lieu que notre capitaine eût l'envie de fréquenter. Il n'entendait pas briguer par des courbettes ou par des intrigues les faveurs que ses prouesses ne lui rapporteraient pas d'emblée.
Il était de l'école du vieux compagnon que Jean de Beuil a mis en scène dans son roman du Jouvencel.
A un adolescent qui lui demande s'il ne ferait pas bien de commencer sa carrière par un voyage en cour, le vétéran répond :
« Ha! voulez-vous jà aller faire la beste ! Ha! beau sire, puisque vous avez voulenté d'estre homme de guerre, ne vous vault-il pas mieux d'estre monté et armé à vostre adventure pour la guerre, que d'aller à la court prier le roy ne faire l'ennuyeux après les seigneurs, despendant vostre argent et perdant temps, comme font plusieurs qui ne sçauroient vivre, qui ne leur donneroit »...
On n'a pas oublié ce Varambon, qui paya si cher l'échauffourée du prince d'Orange.
Dès qu'il fut rendu à la liberté, il ne songea qu'à réparer son désastre par la première belle prise qui se présenterait à faire.
Nous avons dit qu'il avait été ruiné par l'acquittement de sa rançon. Il l'était au point qu'on manquait de tout dans son château de Varambon, et que sa fille, qui vivait à l'abandon dans cette résidence, n'avait pas de quoi s'habiller « pour sortir ». Le duc Philippe lui ayant confié d'abord la défense de Mâcon, il se comporta dans cette ville en vrai chef de routiers. On l'en retira sur la plainte des habitants.
C'est alors qu'il prépara, on dit avec l'approbation du gouvernement anglais, le coup qui devait lui rendre, à son calcul, l'équivalent de ce qu'il avait perdu.
Ayant ses propriétés en Bresse, il connaissait l'état du pays des Dombes, dépendance de la couronne ducale de Bourbon, mais dépendance défavorablement placée à cause de son isolement sur la rive gauche de la Saône. Sans tenir compte de la paix qui s'était rétablie entre le duc de Bourbon et le duc de Savoie, lui, vassal de la Savoie, mais plus bourguignon que bressan, il trouva légitime de porter la guerre dans les Dombes. En conséquence, il réunit une armée de pillards qu'il amena sous les murs de Trévoux dans la nuit du 18 mars 1431. La ville, où l'on ne s'attendait à rien de pareil, fut prise par escalade. Le vainqueur, après l'avoir livrée au pillage, s'y établit fortement, bien qu'il n'eût pas pu s'emparer du château.
Le prince Charles de Bourbon n'eut pas assez de sa noblesse pour le chasser de là. Il lui fallut l'assistance d'une partie des routiers.
Enfin, le 22 juin 1432, le roi étant au château de Loches, un arrangement final passé entre Charles VII et le prince d'Orange, fut signé par la Trémoille et les autres membres du grand conseil. Charles II, de Lorraine, en mariant sa fille Isabelle à René d'Anjou, avait appelé son gendre à lui succéder dans son duché. La Lorraine étant un fief féminin, cette dévolution se trouvait donc eu harmonie avec la loi de l'État.
Aux termes de cet acte, le prince d'Orange rentra en grâce auprès du roi de France. Louis de Chalon s'engageait à servir Charles VII avec trois cents lances garnies et trois cents hommes de trait il devait également s'entremettre, comme médiateur et allié, auprès du duc de Bourgogne. Une rente de 852 florins d'or est, en outre, allouée au prince Louis sur le Dauphiné; de nouveaux juges sont nommés pour terminer judiciairement le litige. Louis de Chalon, finalement, retournait en possession de ses terres dauphinoises, à charge d'hommage envers la couronne. Il les recouvra toutes, sauf quelques places, que lui disputait le bâtard d'Orléans...
Photos:
- Jimre (2009)
Posté le 01-02-2009 12:00 par Jimre